En quatre ans, le 1000 kilomètres a acquis une envergure et une notoriété incroyables. Lors de ma première participation, je devais expliquer à tout le monde de quoi il s’agissait. Au passage de notre peloton, les gens sortaient sur leur pelouse, les yeux en points d’interrogation.
Cette année, la diffusion en direct sur le Web a permis à des milliers d’internautes de voir leurs amis présents et de savoir à quel moment la caravane passerait dans leur coin. Résultat: ils étaient tous dehors au moment de notre passage et frappaient sur leurs casseroles en criant des mots d’encouragement pour Pierre. On a même vu des feux d’artifice, des éclairages disco et une machine à boucane en plein milieu de la nuit. Autre résultat: à mon retour, les amis m’ont posé beaucoup de questions sur «l’encadrement ». Répondons-y une par une.
Fred : Il y avait combien d’équipes ? Dans laquelle étais-tu?
Nous étions 194 équipes de 5 cyclistes (300 ont été refusées). Je faisais partie de l’équipe appelée «Encadreurs de Pierre Lavoie», qui regroupait d’autres amis de Pierre, vedettes du triathlon pour la plupart: Alex Boutin, Sébastien Lapointe, Frédéric Bouchard, Charles Perreault et Benoît Léveillé.
Pascal : On t’a vu souvent à l’avant du peloton. C’est quoi ta job ? Tu protèges Pierre du vent, des groupies ?
Les six encadreurs de Pierre peuvent être vus comme des domestiques, terme cycliste synonyme de coureurs de soutien, ou comme des gardes du corps. Des men in black qui rôdent autour de lui, l’œil méfiant, pour le protéger du vent, des chutes, et satisfaire ses moindres besoins. Dans les faits, Pierre ne se gêne pas pour rouler le nez au vent, car il fatigue de ne pas aller à sa vitesse de croisière habituelle. Il aime aussi se promener au sein du peloton, pour jaser avec tous les participants. Il ne formule aucune demande extravagante. Mais nous gardons un œil sur lui, et Benoît Léveillé, notre chef, voit le danger partout. Quand il flaire la fatigue ou l’inexpérience autour de Pierre, il nous place alors à ses côtés.
Nous apportons aussi notre soutien pour le protocole. En bons domestiques, nous emplissons nos maillots de bidons (vides), que nous donnons ensuite à Pierre pour qu’il les lance aux jeunes des écoles primaires qui le saluent au passage. À l’arrivée de certaines étapes, des équipes locales sont choisies pour faire leur entrée aux côtés de Pierre devant les caméras et les appareils photo. Pour éviter la cohue, nous devons créer une barrière entre eux et le reste du peloton. C’est une tâche délicate, car il faut savoir départager qui est en droit de passer devant et qui doit être rappelé poliment à l’ordre. On apprend à reconnaître nos ministres et nos présidents d’entreprise. Par exemple, l’arrivée à Québec devant l’Assemblée nationale, l’an dernier, a été «chaudement disputée». D’abord, j’ai dû pousser un Pierre Karl Péladeau habillé du chandail des Nordiques depuis la rue des Glacis jusqu’à la rue Sainte-Anne pour le garder avec les V.I.P. à l’avant, et ensuite, j’ai dû retenir les ardeurs d’un membre de l’équipe du partenaire principal de l’événement, qui tenait absolument à passer devant. Finalement, j’ai dû le retenir par la poche de son chandail tellement il ne voulait rien savoir. Derrière moi, j’ai entendu Stefan Desfossés dire: «Veux-tu que je m’en occupe, Gilles?» Connaissant la carrure et le tempérament de l’ami Stéphan, j’ai refusé son offre, pour ne pas causer d’incident diplomatique. Parlant de délinquants, la palme d’or va à PKP, qui redevient un enfant lorsqu’il monte sur un vélo et oublie toutes les consignes de sécurité.
À chaque arrêt, en 50 minutes, il faut se laver, changer de vêtements, manger, réparer ou ajuster le vélo, préparer nos bidons et notre bouffe pour l’étape suivante.
François : Ils vous payent pour ça?
Es-tu fou ? On est déjà assez gâtés comme ça! Nous avons notre propre véhicule, et le plus beau, c’est qu’il est toujours stationné près de l’arche de départ; on n’a donc pas à le chercher parmi les 195 véhicules de la caravane, ce qui vaut de l’or. Guy, Mario et Hélène nous attendent à chaque arrêt et nous traitent aux petits soins. Ils sont fantastiques.
Thierry : Faites-vous toute la distance?
Contrairement aux autres participants, qui sont limités à un certain nombre de présences, nous avons le privilège de faire autant d’étapes que nous le voulons, et nous en profitons. Une loi non écrite dit que seul Pierre doit faire toute la distance, loi que j’ai toujours respectée. De toute façon, je serais une loque humaine totale si je tentais de faire toute la distance. Nous vivons un peu le même beat que Pierre, moins les entrevues et les discours. À chaque arrêt, en 50 minutes, il faut se laver, changer de vêtements, manger, réparer ou ajuster le vélo, préparer nos bidons et notre bouffe pour l’étape suivante. Certains (lire Benoît) profitent à l’occasion de la masso de Pierre ou de son bain de glace.
Jean-Fred : Selon le site Web du Grand Défi, il y aurait une vingtaine d’encadreurs à chaque étape. C’est vrai?
Ça, ce sont les encadreurs tout court, des cyclistes d’expérience recrutés à même les équipes présentes, dont la mission est de garder le peloton en un seul morceau. Quand Pierre n’a pas besoin de nous, nous leur donnons un coup de main. Guy Thibault explique plus loin dans ces pages comment un groupe hétérogène peut se comporter pour que tout le monde ait du plaisir. Les encadreurs mettent en pratique ces conseils, en y ajoutant un truc essentiel: la poussette. C’est souvent nécessaire de pousser les cyclistes moins en forme, pour leur éviter l’autobus des abandons. Certaines étapes demandent beaucoup de travail, quand on affronte des côtes ou du vent de face. Ou quand il faut ramener dans le peloton un groupe de cyclistes qui ont fait des crevaisons, réparées dans l’autobus qui suit la caravane. Parfois, ce sont de petits gestes qui nous font sentir utiles, comme lorsqu’un cycliste vous demande poliment de sortir un gel de son CamelBak, de l’ouvrir… et de lui en verser le contenu dans la bouche, parce qu’il n’est pas encore assez expérimenté pour lâcher le guidon.