Au moment d’écrire ces lignes, le champion vient de perdre tous ses appuis et est passé de héros à zéro dans la foulée des révélations de l’enquête de l’USADA. L’idole de l’Amérique qui vacille et tombe de son piédestal. Fidèle à lui-même, Lance s’est relevé, s’est épousseté les hanches et a levé le nez en disant: «Peuh! ça fait même pas mal» même s’il a ouvert en partie sa boîte à outils devant Oprah Winfrey. Mais le mal, on sait qu’il est fait. Lance a perdu toute crédibilité, l’Union cycliste internationale itou, le cyclisme professionnel en général également. Pour le plus grand bien du sport, je l’espère. C’est le temps d’enlever les œillères, de faire un grand ménage, de changer le système.
Ce qui me surprend le plus dans cette histoire n’est pas la réaction de Lance mais celle de ses fans. La plupart sont déçus, voire outrés de découvrir le personnage machiavélique qui se cachait derrière ses allures de noblesse. D’autres, par contre, ont la couenne dure, et aucune révélation ne pourra leur faire réviser leur opinion. Leur fidélité est solide comme le roc, elle dépasse l’évidence, transcende même tout sens moral. On l’encense sur internet lorsqu’il tweete arrogamment une photo de lui dans son fauteuil devant ses sept maillots jaunes encadrés. On crie à la chasse aux sorcières, on dit qu’il était le plus grand, car il affrontait à forces égales les autres dopés du peloton. On l’ovationne lorsqu’il apparaît en public, lors de conférences ou de courses non sanctionnées.
Lance exploite habilement cet effet qu’il exerce sur les gens. Il s’acoquine avec les puissants. Donne des vélos à Bush ou Sarkozy, à des sénateurs influents. Cela lui permet de tirer les ficelles quand les soupçons affleurent, de mettre le couvercle sur la marmite quand elle bout trop. La création de la fondation Livestrong a été son meilleur coup, tant comme abri fiscal que pour son image publique. Un collègue coureur/journaliste était d’avis qu’il fallait laisser Lance tranquille pour cette raison : «Bannir le gars, prouver sa culpabilité et lui enlever ses titres vont emporter le reste [Livestrong] sans distinction. L’impact sur le gars, on s’en fout, mais pas les répercussions sur des millions de personnes malades […]. C’est trop lourd.»
Le culte de l’adoration n’a rien de nouveau. L’idolâtrie, comme la tricherie, semble être le propre de l’être humain. Les civilisations passées vénéraient des dieux de toutes sortes, et maintenant que la religion a été remplacée par la télévision, on manufacture les idoles dans des buts mercantiles. On les recrute parmi le peuple, par convergence on orchestre leur ascension. Les sportifs professionnels génèrent une fascination sans borne chez les citoyens sédentaires, passionnés au point de s’autobaptiser «sportifs». Le résultat: des héros gonflés. Des Christyna d’Occupation double aux nichons artificiels, des chanteurs toxicomanes, des athlètes dopés. À Tout le monde en parle, on applaudit Éric Gagné, un des meilleurs lanceurs du baseball, qui a pigé comme les autres dans la pharmacie. Il dit être «honteux» de s’être dopé, mais être «fier» de sa carrière; sans commentaire. Dans ma ville, au nom du retour des idoles du hockey, l’argent public finance la construction d’un amphithéâtre qui permettra à des hommes d’affaires en complet ou en patins d’empiler des millions de dollars.
Chez nos voisins du sud, à la suite de la retraite de Lance, la machine avait besoin d’un nouveau superhéros. On a annoncé en grande pompe la venue du film The Levi Effect, la «vraie histoire d’un cycliste professionnel», etc.. Bullshit. Et très mauvais timing, car le film est sorti en même temps que les aveux de dopage de Leipheimer, aveux qu’il a été forcé de faire avant qu’on ne dévoile son témoignage de l’USADA. Oups! Va falloir te trouver un autre héros, America !
Et si le «sportif» nord-américain cherchait le héros en lui plutôt que chez les autres? S’il se levait de son fauteuil pour aller jouer, se surpasser? Si au lieu de triper sur les victoires de ses idoles, il s’épatait de ses propres petites victoires (ou de ses petites victoires propres)? Le monde se porterait mieux, et la morale serait sauve.
Enchaînons avec une petite chanson. La toune Les talons hauts, de Charlebois, allait trop bien avec l’histoire de Lance – il suffisait de changer quelques mots.
L’IDOLE
C’était l’idole du Tour de France, et tous les fans étaient en transe
Lorsqu’il revenait au mois de juillet parader aux Champs-Élysées
Et il montait sur le podium en mâchant une grosse gomme
Il embrassait les petites cocottes, fier comme un coq
Il avait mis son casque Giro, son linge Nike et ses Oakley
Un maillot jaune sur sa poitri-iii-ne
Il est devenu un héros, il était fort, il était beau
C’était une sacrée belle machi-iii-ne
Par un beau jour, manque de bol, y a attrapé l’cancer des chnolles
Il a lutté, il a gagné, il est devenu un symbole
Pour mousser sa réputation et se donner une mission
Il a créé une fondation qui porte son nom
Il est remonté sur son vélo, s’est entraîné, il a eu chaud
Un vrai modèle de discipli-iii-ne
Il a préparé son retour, le Tour de France il a ciblé
Avec l’aide de la médeci-iii-ne
Y était pas fou, y avait compris que pour gagner, faut mettre le prix
Il est devenu un bon ami du fameux docteur Ferrari
Qui lui fournissait un programme, mais surtout des produits
Ils se voyaient en catimini, il l’appelait Shumi !
Il en a pris, de l’E.P.O., d’la cortisone pis de d’la testo
Et pis des transfusions sangui-iii-nes
Il s’injectait dans l’autobus, dans son appart, dans chambre d’hôtel
Peut-être même chez sa voisi-iii-ne
Pendant sept ans, y a dominé, il en a sacré, des volées
Dans les cols et les contre-
la-montre, y avait pas moyen d’l’accoter
Tout un team il s’était monté, lui a montré à s’entraîner
C’est pourtant pas si compliqué, il les a tous dopés !
Y avait d’la dope dans son frigo, dans un thermos, dans son bureau
Et dans les armoires de cuisi-iii-ne
Il en cachait dans son auto, dans le nombril de Sheryl Crow
Partout, mais pas dans son uri-iii-ne
La la la la, la la la la…