Les athlètes qui ne veulent pas finir leur vie tout seuls ont avantage à trouver des activités physiques qu’ils pourront pratiquer en compagnie de leur conjointe ou conjoint.
Mon ami Luc a compris la patente et il a trouvé une activité où sa blonde et lui trouvent leur compte: le yoga! Luc est un triathlète performant, que je coache depuis un bout de temps. La vogue du yoga est arrivée à point pour lui, sur le plan conjugal comme sur le plan athlétique, car la flexibilité est une facette trop souvent négligée dans la planification de l’entraînement d’un cycliste. Luc et sa blonde avaient le choix: yoga chaud, froid, tiède, perte de poids, prénatal, post-partum, antigravité, prana, hatha, kikau et même spinning. D’accord, le dernier, c’est moi qui l’ai inventé, mais je parie que tôt ou tard un gourou vous fera prendre la position du petit chien à tête baissée, en équilibre sur les pédales, en récitant des mantras pour nettoyer le chakra qui donne de l’énergie aux jambes et aux organes reproducteurs.
Luc a choisi le yoga power-flow, rien de moins, et nous avons intégré cette activité hebdomadaire à son plan d’entraînement. Nos opinions divergeaient cependant sur l’effort relatif que représente une séance de yoga. J’y voyais une séance d’étirements, un moment zen qui permet de récupérer. Luc disait que c’était très exigeant. Une seule façon d’en avoir le cœur net: l’accompagner à son prochain cours de yoga. «Pas de problème! On se voit là demain.» En acceptant ce défi, je ne me doutais pas que j’allais vivre l’heure d’entraînement la plus dure de ma vie.
C’est aujourd’hui que ça se passe. Nous nous dirigeons vers la salle, bidon à la main, tapis roulé sous le bras. Luc a un petit sourire en coin qui ne me dit rien qui vaille. En entrant, je constate que quelque chose ne va pas. Il fait chaud! Beaucoup trop chaud. C’est un four, réglé à au moins 2000 degrés… Celsius. Que dis-je, Kelvin! Je me sens comme quand on dort au deuxième étage d’un chalet et qu’en bas, un zélé a rempli le poêle à ras bord avant de se coucher. Je regarde autour de moi, cherchant un allié à qui dire: «On ouvre-tu une fenêtre?» Mais tout le monde fait sa petite affaire dans le plus grand silence. Tous semblent des habitués. Habituées, plutôt, car nous sommes trois gars pour une quinzaine de filles. J’essaie de deviner pourquoi elles viennent ici. Parce que le yoga est à la mode? Parce qu’il n’y avait pas de sauna plus proche? Je croise le regard de Luc. Je pointe l’index sur ma tempe, l’air de dire: «Ça va pas la tête? On s’en va d’ici, fait bien trop chaud!» Avec son maudit sourire en coin, il me fait signe de me calmer, de respirer profondément. Je m’assois sur mon tapis déjà tout trempé de sueur, je prends de grandes inspirations pour calmer mon angoisse. Je prends une autre gorgée d’eau, ma bouteille est déjà à moitié vide. Je fixe la peinture sur le mur, qui va bientôt se liquéfier et couler en une grande flaque bleue sur le plancher.
La professeure arrive. Heu, dit-on professeure? Animatrice? Yogi? Gouroute? Peu importe. Elle nous commande d’abord des postures simples, qu’il faut tenir quelques instants. Les cinq premières minutes, je suis en contrôle. Je me dis que c’est pas si dur, le yoga, finalement, mis à part la chaleur. Mais petit à petit, les choses se corsent. La pose simple de départ se complique à petites doses, à coup de petits mouvements, jusqu’à la contorsion ultime, qu’il faut tenir pendant d’interminables secondes. Je me revois quand j’étais petit et qu’on jouait à Twister dans les partys de Noël. Vous vous rappelez? Il fallait mettre un pied ou une main sur les ronds de couleur dispersés sur la surface de jeu. Quand notre tour venait, quelqu’un tournait l’aiguille, qui pointait sur une couleur impossible à atteindre. «Non! Pas le rouge!» C’est ce que je crie dans ma tête chaque fois que la posture se complique. «Pour ajouter de la difficulté, vous pouvez faire ceci.» Hish, non merci, je suis déjà suffisamment dans le trouble.
Après avoir imité le singe, le cobra et le pigeon, nous prenons la posture de l’enfant, à genoux, la tête baissée, les fesses en l’air. Voilà qui est plus facile. C’est même relaxant. Sur les conseils de la maîtresse de cérémonie, je me laisse aller, je relâche chaque partie de mon corps. Jusqu’à ce que le silence soit brisé par un «prout!»sonore. C’est la honte. J’espère que la chaleur aura suffisamment coloré mon visage pour masquer la rougeur qui m’envahit.
Je prie pour que l’odeur ne se propage pas jusqu’à ma voisine à l’avant de moi, jeune femme dont le costume moulant rappelle celui de Jennifer Beals dans Flashdance. Manquerait juste un seau d’eau surgi du plafond qui vienne l’éclabousser de plein fouet, révélant ses formes de façon encore plus explicite… Ouf! La chaleur me fait délirer. En fait, je fantasme plus sur le seau d’eau que sur ma voisine. Ah! Mon royaume pour une douche bien glacée, pour mettre fin à ce calvaire.
La tortionnaire me rappelle à la réalité. Arrivée à ma hauteur, elle tente de corriger ma position. «Oubliez ça, madame, cette jambe-là est raide à cause d’une fracture du fémur. Et si je ne plie pas trop le dos, c’est pour ménager mes hernies discales.» Un peu plus tard, j’explique que c’est ma fasciite plantaire qui ne fasciite pas le mouvement demandé.
Le calvaire se poursuit avec le lotus et le danseur, pour culminer avec le guerrier, genre de grand écart les bras dans les airs. Mon vieux short Sugoi ne supporte pas l’extension et crac! la couture de la fourche cède bord en bord. La journée où j’ai mis mes sous-vêtements fluos. C’est donc les fesses serrées que je roule mon petit tapis quand Ilsa, la louve des SS, clôt finalement la séance de torture.
Je me rue vers l’air frais. Luc arbore maintenant un grand sourire. Juste à me voir la face, il sait que le yoga sera dorénavant considéré comme un entraînement en intensité dans son programme. Et qu’on ne me reverra pas de sitôt dans cet endroit.