Je viens d’écouter la balado de l’entrevue que Geneviève Jeanson a accordée à nos consoeurs de Ella, le versant féminin du magazine australien en ligne Cyclingtips.
Une heure d’un récit que je connaissais déjà, et pourtant, j’avais le sentiment d’entendre quelque chose de nouveau.
C’était peut-être le recul ? Ou simplement le contexte ?
Je me souviens du reportage d’Enquête et des aveux faits à Alain Gravel comme d’un cirque. Jeanson, l’air d’un clown avec ses cheveux rouges, son chapeau de cowboy. Elle se débattait encore avec la vérité, comme on essaie de se défaire une mouche têtue. Incapable de l’écraser, en espérant qu’elle finisse par nous quitter pour de bon si on l’ignore.
Les dopés qui se font prendre virent parfois mal, comme ça. Leur physique traduisant la crise intérieure qui les secoue. David Millar en nuitard poudré. Floyd Landis l’air d’un déterré. Tyler Hamilton se couvrant de ridicule et de piercings chez Rock Racing.
Puis, ils retrouvent, chacun à leur manière, la route vers une vie habitable. Ou pas.
Geneviève Jeanson, elle, paraît sur la bonne voie. Il y a quelque chose dans cette entrevue qui laisse voir qu’elle comprend bien sa responsabilité comme le degré de toxicité du contexte dans lequel elle évoluait.
Oh, il y a bien des passages qui feront frémir ses ennemi(e)s juré(e)s. Par exemple, lorsqu’elle décrit sa victoire sur le Mont Royal comme sa plus belle en carrière, alors que les soupçons pesait sur elle et que sa forme vacillait.
C'est vrai: j'ai beau vouloir comprendre, jouer le jeu du recul, je ne pourrai jamais me mettre à la place de Lyne Bessette et des autres qu’elle a dupées. Je ne sais pas ce que Jeanson leur a volé. Je ne pourrai jamais mesurer leur perte.
Reste qu'il y a des enseignements à tirer de ce que raconte la paria du cyclisme qui sont autrement profitables que la rancœur -ne serait-ce que pour éviter que la chose se reproduise. D’autant qu’on ne peut pas ranger Jeanson dans la même catégorie de dopés repentis que les Hesjedal, Barry et consorts. Ils étaient des adultes qui ont pris des décisions de leur plein gré, pour faire avancer leurs carrières. Oui, dans un certain contexte de dopage endémique. Mais rien à voir avec celui de Jeanson. C’était une enfant à tous points de vue : jeune, coupée du monde, sous la férule d’un entraîneur physiquement et psychologiquement abusif. On a fait d’elle une bête. Elle a dévoré tout le monde parce qu’elle était un petit animal qui avait appris le goût du sang.
Il ne s’agit pas de tout lui pardonner, de lui retirer toute responsabilité dans cette histoire. Mais son récit en est un qui pourra servir d’exemple.
En commençant par cette chose, qu’elle énonce parfaitement dans la balado : les athlètes d’élite ne connaissent pas grand chose à la vraie vie et sont donc mal outillés pour s’y débrouiller. Ils sont trop encadrés, pris en charge, préservés des aléas de l’existence normale. Quand la réalité sonne à la porte, elle peut ressembler à un cauchemar.
Celui de Jeanson paraît moins effrayant qu’à l’époque d’Enquête. Mais elle n’a pas fini de payer le prix de ses mensonges. On sent bien qu’elle mesure l’étendue de ce passif, qu’elle a contracté avec elle-même et les autres. Comme autrefois, sa vulnérabilité est trahie par son aplomb, son ton frondeur. Son masque. Même s'il est mille fois moins dur et moins opaque.
C’est une des raisons qui rendent cette entrevue si captivante. Ça. Son accent québécois toujours tranchant malgré des années au sud de la frontière. Cette manière d’attaquer chaque sujet, y compris elle-même. Mais aussi le vertige d’entendre cette femme tenter de s’affranchir de quelque chose d’immensément plus grand qu’elle. Une heure pendant laquelle j’avais l’impression d’écouter quelqu’un raconter sa vie comme le récit d’un mauvais deal. Comme on rembourse un prêt usuraire que les intérêts menacent de faire durer éternellement.