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Le blogue de David Desjardins

Premières équerres

26-05-2017

C’est un de mes moments préférés du vélo. Partir. Surtout le dimanche matin, quand tout le monde dort encore. Du fond de notre lit, ma blonde grommelle quelque chose comme « bon vélo », ou « sois prudent », ou « à tantôt ». Un des chats se faufile par la porte de notre chambre, entrouverte, et saute sur le lit pour m’y remplacer. Ma fille, en bonne pré-ado, se lèvera sans doute juste avant que je revienne et aura donc à peine conscience de mon absence.

La ville est encore endormie, elle aussi. Et c’est ce que je préfère de ce temps précis du jour et de la semaine. Ce léger flottement dans la frénésie civilisationnelle. Un hiatus. Le monde qui prend congé du monde.

On prévoyait une pluie diluvienne en ce premier dimanche de mai. J’avais planifié un entraînement intérieur. Mais le bitume est sec devant chez moi. Et la météo n’annonce qu’un millimètre de pluie en avant-midi, avec un déluge plus tard en journée. Donc je m’habille, et je pars pour un beau 100km dominical. Direction : Les Équerres. Tout seul.

Je dois faire ce parcours au moins trente ou quarante fois par année. Je le connais par cœur. Chaque virage, chaque bosse. Et chaque fois, dans la montée vers Tewkesbury, je me demande qui peut bien décider de se construire une maison sur le bord de cette route ou passent des voitures et des motos à pleine vitesse (il y en a toujours une nouvelle qui se bâtit, contre tout bon sens), à la douzaine.

Mais je n’y suis pas encore. Premiers coups de pédale. Le cœur un peu dans la vase, l’estomac lourd du dernier rhum avalé tard en soirée. Mais tout le reste m’allège, me porte.

Charlesbourg et Lac St-Charles se traversent dans un quasi silence. Les voitures sont rares. Les commerces encore fermés. Je savoure cette impression de fin du monde. Sur le boulevard Talbot, je ne vois pas une voiture avant d’arriver à l’intersection avec la 175, sortie Stoneham. Puis je vire à gauche et débute la montée.

Dix kilomètres me séparent le l’église de Tewkesbury. Une trentaine de Valcartier. Je m’installe dans un rythme assez difficile pour faire monter mes pulsations cardiaques à un effort d’endurance, sans plus. Je laisse les pensées affleurer mon esprit puis le quitter.

La pluie débute. Une bruine qui se transforme en ondée. Puis ça cesse. La route est mouillée, je prends mon temps. Le Québec au complet patauge, et la rivière Jacques-Cartier monte à un niveau auquel je ne l’ai jamais vu. Comme pour faire oublier qu’elle enfle ainsi, elle s’est couverte d’un voile de brouillard. Un motard s’est arrêté sur le pont qui la traverse, et avant de passer du côté nord de celle-ci, je fais comme lui et prend une photo qui rend cependant mal la douceur fantomatique du décor.

Ce sont les premières équerres de l’année. Ni la pluie ni le froid ne m’empêchent d’en profiter. Le mouvement des jambes, l’eau qui ruisselle sur mon visage qui imbibe mon collant. Le son des pneus sur l’asphalte mouillé et les ruisseaux qui chuintent et grognent. Il y a plus de poésie dans cette sortie de vélo que dans toutes les chansons de Maxime Landry. Plus de beauté que dans la section des cosmétiques chez Jean-Coutu.

Le détour par Val-Bélair est un peu pénible sous la pluie qui insiste et tombe désormais en torrents. La fatigue se fait sentir. Je traverse l’Ancienne-Lorette comme on passe une ville la nuit en autobus : sans la voir. J’ai le regard rivé quelque part dans le vide, à 100 mètres de moi en même temps que je m’imagine déjà me réchauffant sous la douche.

Retour au temps sec. J’enjambe l’autoroute, et les voitures font la file pour aller s’aligner dans les stationnements du Costco et du Ikea. Les visages à l’intérieur des habitacles sont fermés. Quelque chose comme de la résignation. Les courses à faire. Les obligations. La petite servitude des habitudes.

La pluie reprend, mais je suis heureux. Je rentre chez moi. Ma blonde et ma fille m’attendent. Un livre, aussi, ouvert sur la table à café du salon. Mes premières équerres sont une affaire d’émoi. Celui qui me prend chaque fois que je vois où va la vie des autres, dans leurs stationnements bondés. Et je me félicite d’avoir choisi une autre route. Un ailleurs, qui commence souvent avec une sortie à vélo.
 

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