Lorsqu’on parle vélo, il est presque toujours question de grimpe.
Les ascensions fabriquent les légendes du cyclisme. Elles sont les éléments constitutifs de sa mythologie. Tant chez les pros que chez monsieur et madame tout-le-monde, monter une côte est un défi. La gravité, l’ennemie jurée du manque de forme ou de l’excédent de poids.
Tout ça pour quoi, au juste? Pour basculer au sommet, pour se payer une tranche d’accélération et goûter le vent qui assèche la sueur et procure même quelques petits frissons. Parfois celui de la victoire à portée de main. D’autre fois, simplement, il s’agit de sentir la vie battre en soi. Et peut-être, aussi, deviner la mort qui guette, comme toujours, chaque fois qu’on sort de le maison pour vivre à fond en faisant autre chose que de fixer l’écran de son téléphone.
Ce qui nous amène à un sujet trop peu abordé, qui est pourtant à l’origine de bien des passions cyclistes : la vitesse.
De toute éternité, l’homme et sa fiancée* ont rêvé de rapidité. Je ne m’attarderai pas ici à la volonté de puissance ni même aux velléités productivistes qui ont animé les inventeurs au fil du temps. Ici, c’est le plaisir de la vitesse qui m’intéresse.
Car il n’existe pas, à mon avis, de griserie aussi pure que celle provoquée par le fait d’aller vite sur un vélo.
Voir le 50km/h s’afficher sur le compteur alors qu’on roule sur le plat avec un vent de dos, ou dans l’aspiration d’amis cyclistes, est un bonheur ahanant. Plutôt que de s’essouffler pour s’échiner dans un raidillon à 18km/h, on pompe l’air pour avancer à toute allure. On coupe le vent, les objets qui habitaient le paysage nous rejoignent à une allure effarante, et avec le seul pouvoir des jambes, on devient homme ou femme-machine, capable d’avaler les kilomètres. Les distances et le temps sont repliés, comme dans Dune, genre.
Et ce plaisir est à la portée de tous, chacun selon ses moyens. Suffit de demander autour de vous, chez les néophytes parmi vos amis routards, ce qui les a d’abord séduit lors de premières sorties avec un vélo de route. « Ça va vite », disent-ils presque toujours.
Ça, c’est sur le plat.
La griserie suprême, toutefois, c’est la descente. On s’y aventure comme on essaie une nouvelle drogue dont on connait les risques, mais dont on sait aussi les effets euphorisants, mesurant le pour et le contre.
Puis on y va. Et c’est comme un manège dont on a les commandes.
Se laisser aller. Mieux : pédaler pour accélérer. Se mettre en position aérodynamique, puis sortir le genou à l’intérieur du virage qui arrive, se pencher et faire confiance aux quelques centimètres de caoutchouc qui constituent l’unique point de contact… Y aller en groupe. S’entredépasser à tour de rôle sur des routes désertes. Maîtriser sa peur, se faire confiance et laisser le corps atteindre des angles assez aigus pour aborder les virages à pleine vitesse.
Voilà qui est mieux encore que toutes les drogues connues.
Et si, en plus, on a la chance d’aller dans un endroit où les routes n’ont pas été conçues pour les voitures, et qui serpentent sur le flanc des montagnes, on atteint un degré d’extase qui justifie amplement l’effort parfois monstrueux pour se rendre au sommet.
Et on remonte. Et ça recommence.
On regarde au loin pour voir venir. Une auto dans un virage. Un chien. Des chèvres, des moutons, des cochons. L’autre jour, dans le Nordet, c’était un renard, tenant un petit rongeur dans ses dents acérées.
On joue avec la limite. On la repousse un peu. On va toujours plus vite, on vire toujours plus rapidement. Le corps si près du sol, la pédale extérieure vers le bas pour mieux coller à la surface bitumée.
Si c’est dangereux? Bien sûr. C’est le fix d’adrénaline qui manque trop souvent à nos vies desquelles on tente d’éliminer le risque. C’est encore ce que j’ai trouvé de mieux à faire avec ce corps qui m’a été donné, et qui ne se sent jamais aussi bien que sur un vélo, roulant à tombeau ouvert.
*Permettez cet emprunt, et sachez qu’il s’agit d’une forme d’hommage à un vieux monsieur, autrefois chroniqueur, grand parmi les grands.