Traverser le « parc » des Laurentides n’a jamais été si facile. La double voie d’asphalte toute neuve déposée sur la chaîne de montagnes me rappelle les récentes traversées de la Réserve faunique des Laurentides au sein du peloton du Grand Défi Pierre Lavoie, où j’ai connu Jean-Robert Wells, qui sera mon accompagnateur aujourd’hui.
Triathlète émérite, biochimiste de son métier, Jean-Robert Wells s’implique dans tous les projets cyclistes chez lui : le Grand Défi, la randonnée des Cols du Fjord, le Grand Prix Cycliste de Saguenay et diverses activités de vélo de montagne, dont l’organisme Vélo Chicoutimi, qu’il préside. Je le rejoins à l’Hôtel Chicoutimi, où je serai hébergé. L’établissement quatre étoiles est la propriété d’un autre ami triathlète qui va vite et qui est responsable des encadreurs du Grand Défi, Éric Larouche. Après des retrouvailles émouvantes, nous voilà en route vers l’arrondissement de La Baie, notre première destination.
Centre de ski Mont-Bélu
Arrondissement La Baie
5 pistes de descente, remontée mécanique ouverte les vendredis,
les samedis et les dimanches • 23 $ • montbelu.com
Le soleil n’est pas haut dans le ciel quand notre pick-up s’immobilise au sommet du mont Bélu. Nous sommes jeudi, et le T-bar n’est pas en service. Patrick Perron a donc pris congé du boulot afin de nous navetter de bas en haut de la montagnette et nous faire découvrir les cinq pistes sur lesquelles il a mis de très nombreuses heures de travail en compagnie d’une poignée de bénévoles. Patrick construisait des sentiers clandestins au Panoramique quand Jean-Robert lui a proposé de consacrer ses efforts au projet du mont Bélu. La petite station de ski est ouverte aux cyclistes depuis 2012 et fait ses frais.
À cheval sur des Devinci Ollie de location qui ont fait la guerre, nous enchaînons les descentes par ordre de difficulté. Les tracés exploitent bien tout le territoire de la montagne, alternant passages abrupts et sections plus roulantes, zones boisées sombres et pentes de ski éblouissantes, où nous cavalons dans les hautes herbes ou, sur de longs segments, directement sur la roche-mère. Il y en a pour tous les goûts, ici. Les descendeurs aguerris ont de nombreuses options grâce auxquelles sauter et prendre de la vitesse, comme Patrick nous en fait la démonstration. Les gars de cross-country un petit peu pissous comme Jean-Robert et moi y trouvent aussi leur compte, et le plaisir augmente à chaque descente.
La nouvelle piste « familiale» est particulièrement jouissive : tracé fluide, gros virages surélevés et panorama à admirer quand on prend une pause à mi-chemin. On embrasse du regard la ville et la baie des Ha ! Ha !, où mouillent d’imposants bateaux de croisière. Une fois débarbouillés, nous allons à proximité leur jeter un œil en cassant la croûte dans un resto près du quai. Voir les trottoirs de la ville encombrés de touristes chinois est fort sympathique.
Le Panoramique
Arrondissement Chicoutimi
40 km de sentiers • Accès gratuit • velochicoutimi.qc.ca
Sans perdre de temps, nous retournons à Saguenay, à l’usine Devinci, où Julien Boulais, coordonnateur marketing, nous attend avec la machine qu’on m’a réservée en prévision de cette tournée, un Django 29 version carbone pourvu du nouveau groupe 12 vitesses Sram Eagle.
Julien et quelques amis nous accompagnent au « Pano », petit nom du centre Le Panoramique situé au cœur de l’arrondissement Chicoutimi, à quelques minutes de l’usine. Nous ne sommes pas les seuls à tomber dans le Pano : en ce jeudi 15 h, plus de 20 voitures occupent le stationnement du centre. Nous en compterons 35 à notre sortie, vers 19 h.
Arrêtés devant une carte des sentiers, mes hôtes discutent de l’itinéraire. J’écoute, amusé, cette conversation type des usagers : « On prend la 1, on vire dans la 5, ensuite la 11, puis la 9, puis on revient par la 20… » Le Pano est une courtepointe de sentiers tissée sur une montagnette appartenant à Rio Tinto et servant de tampon entre une zone industrielle et des quartiers résidentiels. On n’y va ni pour les paysages ni pour la beauté de la forêt : on y va pour la fluidité des pistes aménagées en conservant un maximum de passages sur le granit, merveille minérale sur laquelle nos pneus adhèrent bruyamment. Nous sautons d’un bloc rocheux à un autre comme si nous surfions sur le dos de grosses baleines. Nos sens sont en alerte, car nous ne savons jamais quelle surprise nous attend au prochain détour.
Les cyclistes que nous croisons saluent Jean-Robert et la gang, lançant des commentaires du style : « Hey, c’est extraordinaire ce que vous avez fait, je tripe au boutte ! » C’est dans de tels mots d’encouragement que les bénévoles puisent l’énergie nécessaire à continuer le développement du site.
Nous terminons la visite à la tombée du jour dans le parc de bosses aménagé près du stationnement. Au milieu des jeunes qui s’amusent à sauter, nous croisons Nicolas Gauthier, fils de Félix, patron de Devinci, qui s’élance sur les bosses pour les photos.
Ma dernière virée au Pano remontait à 2015, et c’est épatant de voir à quel point le site s’est bonifié. Tout ce qui manque maintenant, c’est un pavillon d’accueil digne de ce nom, fournissant les services auxquels les cyclistes s’attendent. Ce serait de l’argent bien investi, à la fois dans la santé des citoyens et dans le développement touristique.
Véloroute du Fjord du Saguenay
Le long de la rivière Saguenay
Circuit cyclable de 435 km sur les deux rives de la rivière Saguenay • Accès gratuit • experiencevelo.ca
La journée suivante débute dans l’arrondissement de Jonquière par une trentaine de kilomètres d’asphalte sur une magnifique portion de la nouvelle Véloroute du Fjord du Saguenay. C’est David Lecointre, alias David le Castor, qui me guide. Le sympathique Belge bien enraciné au Lac-Saint-Jean est connu pour son implication dans le monde du vélo. Ses solides épaules me coupent bien le vent sur une section de piste cyclable particulièrement bien réussie qui longe la rivière aux Sables. Nous contournons ensuite le lac Kénogami sur une route plus large, segment appelé le Horst de Kénogami, bordé de forêt et de parois rocheuses, où nous croisons seulement trois voitures en une heure. Nous nous repérons grâce à l’excellente brochure Expérience vélo qui détaille les deux véloroutes de la région tronçon par tronçon, au moyen de cartes encadrées de toutes les informations essentielles. Les trajets sont codés en vert, orange et rouge, selon qu’ils se destinent aux familles, aux cyclotouristes ou aux cyclosportifs.
La Véloroute du Fjord du Saguenay est presque toute tracée en rouge. Ça donne le goût de s’y lancer tout de suite ! Dans tout le Québec, c’est assurément l’itinéraire qui ressemble le plus à l’Europe. Ceux qui trouveraient certains segments trop costauds les éviteront en utilisant à volonté la navette maritime du fjord, sans besoin de réservation.
Le Mont Lac-Vert
Hébertville
12 km de sentiers • Accès gratuit • montlacvert.qc.ca
Nous poursuivons la journée au lac Vert et au mont du même nom, où nous attendent quelques crinqués en vue d’une tournée des sentiers. À la tête du groupe, le cheveu gris, l’œil vif, le corps solide comme un chêne, Denis Dolbec est tout un phénomène. À l’emploi du centre de ski administré par la municipalité, il travaille depuis des années à développer un réseau de sentiers de vélo, aidé d’un petit groupe de bénévoles, à force de corvées, sans moyens mécanisés.
On dit que les créateurs de sentiers se font d’abord plaisir en les aménageant à leur goût. Dans le cas de Denis, c’est évident qu’il aime quand ça grimpe ! Dès le départ, nous attaquons une pente de ski à petite vitesse. Nous avons droit à un peu de répit à l’ombre, dans une section de single track toute fraîche. Nous empruntons ensuite un enchaînement de pistes doubles, où chaque descente qui annonce un moment de récupération est immanquablement suivie d’une face de singe où je m’arrache les mollets, mais qui ne semble pas affecter les infatigables gazelles quinquagénaires qui m’escortent. Nous aboutissons au faîte du mont du Lac Vert, d’où nous découvrons la plaine qui s’étale jusqu’au lac Saint-Jean.
Denis sait où il s’en va avec le développement de son réseau et nous amène dans des parties inachevées qui recèlent un excellent potentiel. Dans quelques années, le site atteindra sa maturité et sera prisé des cyclistes aguerris q ui désirent un bon entraînement. C’est d’ailleurs déjà le cas en ce qui concerne le réseau hivernal de fat bike, réputé parmi les meilleurs de la région. Peut-être reverra-t-on une étape de la Coupe du Québec de cross-country en ces lieux, comme nous avons connu au début du siècle ?