Après avoir pédalé de l’Angleterre à la Malaisie en racontant de belles histoires, Jonathan s’est arrêté dans ce dernier pays pour travailler, mais aussi et surtout aux fins d’écrire un livre sur son périple et ses multiples rencontres. Emballés par l’idée, nous avons décidé de le publier – il va sortir dans quelques jours sous les couleurs de Vélo Québec Éditions. C’est l’occasion d’une longue entrevue Montréal–Kuala Lumpur via Skype. Par souci de laisser le maximum de marge de manœuvre à cet homme loquace, je me suis contenté de lui suggérer quelques mots.
Point de départ
Partir à l’aventure, c’est comme un muscle. Pendant une trentaine d’années, j’ai vécu des expériences de voyage qui ont été comme un entraînement. Puis je me suis dit qu’elles étaient suffisantes pour que je fasse le tour de la planète. Comme je voulais sortir des sentiers battus et être autonome en matière de déplacement, il me fallait un moyen de transport indépendant. Le vélo s’est imposé de lui-même.
Vélo
Je ne suis pas un athlète. À l’école, j’étais toujours le dernier choisi dans les équipes en éducation physique. Comme petite piqûre, j’ai travaillé dans un magasin de vélo, j’ai également voyagé à vélo avec mon père sur le P’tit Train du Nord et au Lac-Saint-Jean. Aussi, je me suis mis au vélo de montagne, ce qui m’a permis de gagner en aisance. Je n’ai jamais été compétitif, c’est surtout le fait de circuler de manière indépendante qui me plaît. J’ai toujours eu du plaisir à vélo. Quand je reprenais en avril après la pause hivernale, j’en tremblais presque de bonheur. J’adore la sensation sur un vélo: on vole, il n’y a pas de bruit. Deux roues et une chaîne suffisent pour se déplacer.
Solitude
Un mot nécessaire, quelquefois sous-estimé. Je n’ai aucun problème avec la solitude. J’en profite pour réfléchir sur moi-même, sur la vie. Quand je pédale, le mouvement devient instinctif. Il m’arrivait souvent de m’évader dans mes pensées. Ça me prenait cinq bonnes secondes pour réaliser que je n’étais pas à la maison, mais sur une route à l’autre bout du monde.
Adversité
Le pire ennemi, c’est souvent soi-même, quand on se dit qu’on n’est pas capable de faire quelque chose. Le vélo, c’est physique, quelquefois ardu, mais ce n’est pas impossible. C’est souvent un combat mental, au cours duquel on se convainc qu’on peut le faire. Je n’ai jamais eu envie d’abandonner. Le moment le plus difficile a sans doute été lorsque j’ai décidé de prendre un invraisemblable raccourci au Kirghizistan ; je n’avais plus d’eau, plus de réseau, j’ai poussé mon vélo pendant 10 heures pour franchir 9 km. J’en ai parlé à mon frère après, et il a conclu: «N’essaie pas de te faire plaindre, je sais que tu as aimé ça.»
Lecture
Quand j’entends qu’au quotidien, on n’a pas le temps de lire, c’est faux. On a toujours le temps, cela aide à imaginer les paysages, les aventures tout en améliorant son vocabulaire, cela aide à mieux penser.
Mariage
Très important partout dans le monde, sauf au Canada et en Europe. On me demandait souvent quel était mon problème vu que je n’étais pas marié à 30 ans passés. On m’a fréquemment proposé de s’occuper de mon cas!
Moral
Pour garder le moral, j’écoutais des podcasts. Sans, j’aurais peut-être abandonné après quatre heures de route.
Éthique
Je me suis posé la question à savoir si c’était éthique d’aller dans certains pays. Pour moi, dans un voyage individuel à vélo, on contribue directement à la vie des gens: le restaurant où on s’arrête, l’endroit où on couche. Je montre souvent des photos que j’ai prises. Cela permet aux gens d’avoir une vision différente du monde. En fait, le monde devient plus petit pour eux, mais aussi pour moi.
Admiration
J’admire les gens qui n’ont pas une vie facile: le fermier du Tadjikistan qui cultive une terre aride, le berger ouzbek qui mène ses moutons où poussent trois brindilles… À la première journée de travail, à leur place, j’abandonnerais.
Pays contournés
Avec le recul, je ne contournerais aucun pays parce que chaque fois, j’ai appris. Au Vietnam, le bruit est omniprésent partout. Finalement, je me suis arrêté de pédaler un mois afin de mieux découvrir ce lieu en restant dans une famille. J’ai établi deux règles de fun: le fun 1, c’est quand je roule sur de l’asphalte lisse, qu’il fait beau et que le vent me pousse dans le dos. Le fun 2, c’est quand tout va mal, qu’il pleut, que je souffre d’hypothermie et que je risque de me retrouver en prison; par contre, quelle bonne histoire à raconter quand c’est le fun 2 qui pogne! Je donne un exemple: avec mon ami Fred, nous voulions savoir si c’était réellement interdit de dormir dans un monastère au Myanmar. Nous nous faisons inviter par les moines, et le lendemain matin, la police est là et procède à une inspection en règle des passeports, interrogatoire corsé en prime. Fred m’en voulait un peu de l’avoir embarqué dans cette galère, mais j’avais une belle histoire à raconter!
Fin du voyage
J’étais épuisé mentalement. J’ai pris une pause en ne sachant pas si je voulais repartir. J’apprécie mon confort, la douche quotidienne même si je ne la tiens pas pour acquise. Puis je me suis rendu compte que ma soif d’aventure n’était pas assouvie, que j’avais envie de voir autre chose, de retourner dans ma tente.
Repartir
J’ai encore un petit stress. N’importe quel changement de vie est difficile. Je sais que repartir, c’est redevenir pauvre et retrouver le fun 2! Ça me tente et j’y travaille. Maintenant, j’ai confiance, je vais accepter le changement.
À lire chez Vélo Québec Éditions. En librairies dès le 23 mai