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Destinations

Virée père-fils dans le bas Saint-Laurent

03-07-2018

C’est d’abord le clocher de Kamouraska qui apparaît à l’horizon. Puis ce sont les arbres qu’on devine centenaires qui deviennent le point de mire. La vue des maisons traditionnelles de ce village considéré comme l’un des plus beaux du Québec annonce quant à elle une arrivée imminente. Ce n’est pas de refus. Depuis une grosse heure, nous affrontons un vent qui lacère nos quadriceps tant il souffle furieusement. En outre, l’odomètre nous nargue, s’opposant à afficher une vitesse supérieure à 25 km/h. Lalalèreeee

Preuve du sérieux de la situation, mon général de père a ordonné à ses troupes – nous deux – de réduire considérablement la durée de la faction aux avant-postes. Nos relais, qui s’étendaient sur un kilomètre en partant de Rivièredu-Loup, durent maintenant un maigre demi-kilomètre. Le tour à l’avant revient rapidement. Nous égrenons lentement le temps, qu’on dirait tout d’un coup figé.

Lac Temiscouata
Credit Bertrand Lavoie

Notre prochaine destination, Saint-Pascal, se laisse néanmoins plus facilement rejoindre. Quelques coups de pédale suffisent pour venir à bout d’Éole, qui rafale désormais de côté. Le contraste est saisissant. Ce n’est cependant là qu’une mise en bouche. Le retour, vent dans les voiles, promet d’être plus grisant encore. « Croisons les doigts pour qu’il ne change pas de direction», me lance mon père au détour. Vous ai-je dit que c’est un comique?

Par chance, sa prophétie ne se réalise pas: 40, 45, 50 km/h, le revêtement de la route 230, sur laquelle nous filons, fait désormais crisser joyeusement nos pneus. Autour de nous, les champs rectangulaires et perpendiculaires au fleuve nous rappellent que les premiers colons sont venus s’établir ici dès 1692, à l’époque de la Nouvelle-France. En contrebas, les buttons rocheux typiques du Basdu-Fleuve, aussi appelés monadnocks ou cabourons, rompent avec la disposition trop ordonnée du paysage.

C’est là, dans ce décor de carte postale qui défile à toute allure, que la singularité du moment me frappe. Malgré ses 57 ans bien sonnés, P’pa continue d’aligner des milliers de kilomètres sur deux roues. Mieux encore, il les abat à des vitesses qui commandent le respect de bien des jeunots – tel l’auteur de ces lignes. Tenez, les 90 bornes de cette première journée ont été avalées à une moyenne de 33km/h. À ce rythme, on jurerait que le vieillissement est un mythe.

Pourtant, de son propre aveu, cette réalité biologique ne l’épargne pas. Récupération plus longue, côtes moins dociles et crainte exacerbée d’embrasser le macadam sont autant de signes qui ne mentent pas: un jour, je perdrai mon partenaire de route, celui qui m’a tout inculqué du vélo, à commencer par le sens de l’effort, du «ferme-ta-gueuleet-pédale». Aussi bien en profiter pendant qu’il en est encore temps.

Le plat de résistance Nous voudrions attirer davantage les regards que nous ne saurions mieux faire. À Saint-Michel-duSquatec, dans le Témiscouata, les cyclistes en cuissards qui se magasinent un lunch au supermarché du village ne sont décidément pas légion. En fait, depuis notre départ de Dégelis, 60 kilomètres plus tôt, nous n’avons croisé aucun membre de la confrérie des routiers à pédales. Dans ce royaume forestier (87 % du territoire), ce sont plutôt les camions de pitounes de bois, principale industrie du coin, qui règnent en rois et maîtres

Ce qui ne veut pas dire que les monstres motorisés soient nombreux sur les tronçons témiscouatins de la nouvelle route touristique des monts Notre-Dame. Au contraire, nous n’en croisons que quelques-uns, et pas davantage de voitures, d’ailleurs. Nous sommes seuls sur ce trajet qui sillonne une chaîne de montagnes vieille d’au moins 200 millions d’années. Nous ne nous en plaindrons pas.

Nous amorçons notre retour. À défaut d’être exigeants, les premiers kilomètres après la sortie de Squatec permettent de faire le plein de paysages saisissants, que nos neurones prennent le soin de stocker dans notre mémoire. Autour de nous, quantité de lacs ainsi que des rivières utilisées jadis par les Amérindiens pour circuler entre les fleuves Saint-Laurent (au Québec) et Saint-Jean (au Nouveau-Brunswick) côtoient des champs et des pâturages qu’on dirait méticuleusement disséminés. Les montagnes qui s’étendent à perte de vue sur 360° donnent du volume à ce paysage qui, autrement, serait banal.

Ce n’est qu’en arrivant à Lejeune, perché sur un plateau, que la route s’accentue sérieusement. La montée, courte (1 km), n’excède guère 7 ou 8%, ce qui la rend roulante à souhait. Surtout, elle est représentative du dénivelé qu’on trouve dans le secteur. Rares sont les bosses qui scient véritablement les jambes; c’est plutôt leur répétition qui finit par user. Par exemple, au cours de notre aller-retour de 120 kilomètres, nous avons eu droit à des montagnes russes de 1100 mètres de dénivelé positif.

Jusqu’à Auclair, puis Lots-Renversés, la tendance est à la grimpe. L’humidité ambiante, tout à fait digne d’un après-midi du mois d’août, fait ruisseler la sueur de tous nos pores. Nous roulons en siphonnant nos bidons comme un bambin tète son biberon. N’empêche, notre rythme est bon, scrupuleusement calqué sur l’effort de l’un et de l’autre. Années de pratique aidant, un simple coup d’œil nous suffit pour lire notre niveau de fatigue respectif.

Une descente progressive vers Dégelis, en effleurant au passage le lac Témiscouata, long de 42kilomètres, conclut la chevauchée. Une fois à destination, il ne nous restera plus qu’à nous décapsuler des boissons bien froides et à nous dire: «Wow, quelle belle sortie!»

Père-fils

Un terrible secret

La vie est un éternel recommencement, dit-on parfois. Ce jour-là, entre Trois-Pistoles et L’Isle-Verte, force est d’admettre que c’est vrai. Sur la route 132, nouvellement libérée de toute circulation automobile lourde en raison du prolongement de l’autoroute 20, un mur de vent nous met encore une fois des bâtons dans les roues. Comme il y a deux jours, nos cuisses brûlent et l’odomètre se rit de nous. Fait cocasse : des panneaux nous annoncent la municipalité de Notre-Dame-des-SeptDouleurs, tout près. Quel nom à propos, n’est-ce pas?

Le calvaire prend fin après 21kilomètres, lorsque nous parvenons (finalement) à l’église de L’IsleVerte, municipalité de 1372 habitants. Immédiatement, nous amorçons le retour par les terres, question de compléter notre première boucle d’une quarantaine de kilomètres d’un itinéraire qui en comprend deux du genre. Enthousiastes, nous rallions le réseau cyclable en site propre qui ceinture Trois-Pistoles.

Mauvaise surprise: ce dernier n’est pas asphalté. Remarquez, le tronçon de quatre kilomètres en garnotte n’est pas d’un laid choquant. La situation est juste «spéciale», comme le décrit avec tact le paternel.

Une fois la route regagnée, nous décidons de couper court à notre randonnée. Le ciel, lourd, indique que l’averse est imminente. La deuxième boucle vers SaintMathieu-de-Rioux puis Saint-Simon sera pour une autre fois.

Mais… pourquoi ne pas rouler quand même? Parce que… vous savez, un Bilodeau, ça ne roule jamais sous la pluie. Voilà, notre terrible secret est éventé.

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