Je faisais à vélo le chemin vers la maison, depuis le boulot. Tout juste de retour de vacances, vaguement déprimé d’être soudainement confiné à l’espace fermé du bureau après avoir passé deux semaines à me balader en Colombie-Britannique avec ma blonde.
Le retour au réel est parfois brutal. Surtout quand il fait aussi beau que cet été.
J’étais revenu à ma vie d’avant, largement composée de travail et de sorties de vélo où je pousse sans cesse la machine. Mais je ressentais une lassitude bien certaine.
J’avais envie de lenteur. Pas d’entraînements en zone 1. Je voulais de la zone 0. À la limite, je n’avais même pas le goût de rouler. Dans mon cas, cela équivaut à un diagnostic de dépression. Et quand je dis ça, je ne niaise même pas.
Puis, sous le pont de la 3e avenue à Limoilou, je l’ai croisé. Un monsieur qui roulait sur un vélo de route ordinaire. Je ne me souviens plus la marque ni la couleur ni même le matériau. Seulement la dégaine du type. Vieilles chaussures de vélo de montagne datant du lancement des Marzocchi Bomber, t-shirt Patagonia d’avant que la compagnie redevienne cool, casque pré-Obama et surtout des shorts de jogging. Je me souviens aussi ses jambes : maigres mais découpées, preuves physiologiques d’un profil sportif. Et j’ai aussi en mémoire son sourire. Pas niais. Pas ridicule. Un sourire de gars bien dans sa peau, heureux de son sort.
J’ai eu envie d’être ce type-là. Enfin, pas en shorts de jogging, c’est trop inconfortable. Puis de nouvelles chaussures tous les 6 ou 7 ans, ça le fait. Mais j’ai envié son attitude. Je me suis dit qu’un jour, je voudrais rouler comme il avait l’air de le faire : sans but, pour n’aller nulle part en particulier, sans espoir de le faire pour atteindre un quelconque niveau de forme ou pour relever un défi. Rouler pour rouler, en s’arrêtant ici et là au gré de ses envies.
Et je me suis dit que je devais être prudent. J’ai croisé tellement d’enragés de ma sorte qui ont fini par être dégoûtés du vélo à force d’en manger tous les jours que j’ai soudainement eu peur. Et si l’amour que j’ai pour ce sport finissait par se mordre la queue? Et si j’en faisais trop moi aussi?
Heureusement, il y a le vélo de montagne pour changer de décor. Il y a le cyclocross qui s’amène, pour changer d’esprit et passer en mode plus festif. Ils sont là pour me rappeler les multiples visages de ce sport que j’adore, et qui mérite mieux qu’uniquement les chiffres par lesquels je le définis souvent, en kilomètres, watts, kilojoules, TSS, heures roulées, zones et autres machins du genre.
Ne vous méprenez pas. J’ai encore l’instinct du tueur, le goût d’aller toujours plus vite. Mais je sais que cette envie nécessite quelques pauses pour ne pas me saouler.
Après tout, s’il y a un bon côté à vieillir, c’est que ce que je perds en watts, je le gagne en sagesse.