Fuir l’hiver pour accumuler du kilométrage sous des latitudes clémentes est une pratique courante chez les cyclistes québécois. Curieusement, la science est encore muette quant aux bénéfices pourtant bien réels des camps d’entraînement.
S’il le pouvait, Jean-François Dionne passerait assurément sa vie sur deux roues. Accro aux watts qu’il génère en quantité abondante et voyageur à vélo confirmé, il a même fait de sa passion pour la petite reine le sujet de sa maîtrise en physiologie de l’exercice réalisée à l’Université du Québec à TroisRivières. Bien qu’académique, le titre de son mémoire publié en 2013 pique la curiosité : Variations physiologiques suite à un camp d’entraînement pré-saison chez des cyclistes entraînés
Le choix de ce thème n’est pas fortuit. Pratiqués couramment par les cyclistes «sérieux», les camps d’entraînement ont pourtant été peu examinés par la science. « C’est un concept qui a surtout été étudié chez des sujets sédentaires et non des athlètes de bon niveau. Qui plus est, ce type d’intervention est généralement réalisé en laboratoire, une condition très lointaine de celle de “vrais” camps d’entraînement dans le Sud», explique le maître ès sciences de l’activité physique.
« Ce sont littéralement des vacances sur deux roues. Le fait d’aller dans un autre pays et dans un environnement nouveau et plus chaud, souvent en bonne compagnie, représente une grande source de motivation pour le sportif. »
Jean-François Dionne
Catalyseur
Afin de remédier (un peu) à ce manque de données, Jean-François Dionne a recruté quatorze cyclistes, huit hommes et six femmes, de bon niveau. Peu avant leur départ pour leur camp d’entraînement respectif, les valeureux se sont prêtés à un test d’effort à paliers progressifs, pendant lequel ils ont pédalé jusqu’au bout d’eux-mêmes. Le but: mesurer une foule de paramètres physiologiques maximaux et sous-maximaux. En parallèle, les participants ont aussi rempli un questionnaire afin d’évaluer leur humeur
Puis, pendant environ neuf jours, les participants ont accumulé, en moyenne, près de 30 heures de selle. De manière autonome, ils ont géré le volume et l’intensité de leur camp d’entraînement avant de revenir, bien repus, au Québec. À leur retour, rebelote: les cyclistes sont passés au travers de la même batterie d’évaluation qu’à leur départ. Jean-François Dionne disposait ainsi de deux photographies bien distinctes de l’état physique et psychologique des participants à son étude: une avant et l’autre après un camp d’entraînement typique.
Premier constat, attendu: les cyclistes ont amélioré leur forme physique. Plus précisément, c’est leur efficacité mécanique brute et leur économie d’effort, des paramètres qui témoignent de l’efficience du cycliste, qui s’est considérablement appréciée. «Pour s’améliorer autant, ces paramètres nécessitent normalement de quatre à six semaines. On voit que le camp d’entraînement agit comme un véritable catalyseur», constate le jeune chercheur. Fait à noter : pendant leur camp d’entraînement, les sujets ont passé 91% de leur temps à des intensités d’endurance élevées.
Voyage dans le Sud
La véritable surprise provient cependant de l’évolution de leur état psychologique. Au départ, JeanFrançois Dionne prévoyait que les cyclistes reviendraient de leur buffet d’entraînement exténué, à la limite de l’indigestion. Après tout, plus de trois heures de selle par jour loin de chez soi, ça gruge les énergies. Pourtant, c’est tout le contraire qu’il a observé: ses sujets ont fait mieux au questionnaire relatif à leur état psychologique. Autrement dit, ils étaient plus détendus et plus motivés qu’à leur départ !
Comment interpréter ces résultats ? Selon le spécialiste de l’activité physique, un camp d’entraînement est aux yeux des cyclistes ce qu’est un voyage dans le Sud à ceux du commun des mortels: une occasion de décrocher. « Ce sont littéralement des vacances sur deux roues. Le fait d’aller dans un autre pays et dans un environnement nouveau et plus chaud, souvent en bonne compagnie, représente une grande source de motivation pour l’athlète», soutient-il.
D’ailleurs, l’amélioration marquée de la condition physique des cyclistes observée à la suite de leur camp d’entraînement n’est probablement pas étrangère à ce phénomène. Lors d’un camp d’entraînement, une personne écarte momentanément les préoccupations du train-train quotidien. Résultat: elle dispose du jour au lendemain de toute son énergie pour s’entraîner davantage, certes, mais, surtout, pour s’adapter correctement à la hausse soudaine de la charge d’entraînement.
Bref, partir en camp d’entraînement en avant-saison crée un terreau fertile au développement rapide de nouvelles capacités physiques.
À défaut de règles, quelques principes
Avant et après
Du repos (un peu) Jean-François Dionne recommande de diminuer la charge d’entraînement dans les jours qui suivent et précèdent un camp d’entraînement. «De deux à trois jours de repos me paraissent suffisants.
Bien sûr, cela dépend du décalage horaire en jeu», indique celui qui est aussi entraîneur à ses heures.
Canaliser l’euphorie
S’il est tentant, à son retour, de surfer sur la vague d’enthousiasme provoquée par le camp d’entraînement, il importe néanmoins de contenir ses ardeurs. « Bien canalisé, l’effet sur la motivation peut se faire sentir pendant des semaines», souligne-t-il.
Camp d’entraînement maison
C’est moins glamour et probablement moins efficace, mais un mini camp d’entraînement maison peut s’avérer utile. Assurez-vous cependant que les activités pratiquées lors de ce dernier sont spécifiques au vélo. « Tentez de couper les potentielles sources de stimulation et de distraction, qui risquent d’interférer avec la réponse à l’entraînement», conseille le cycliste émérite.