La légère brise venant de l’océan Pacifique peine à sécher la goutte de sueur qui perle sous le casque. Il faut dire qu’à Taïwan, en juin, on est dans la mousson d’été, moment où le degré Celsius essaie de prendre le dessus sur le taux d’humidité. Ce n’est pas une raison pour ne pas pédaler : l’île nichée en plein Pacifique, à 160km des côtes chinoises, a de toute évidence des vélos dans ses gènes.
Comment s’en étonner : la monture utilisée pour sillonner le bitume taïwanais est évidemment un Giant. Après tout, le plus gros fabricant de vélos du monde a son siège social et quelques usines à Taichung, de l’autre côté de l’île. Nous sommes à Taïtung, sur la côte est, après un saut de puce en avion en provenance de Taipei, une ville plutôt amicale pour les cyclistes (voir Taipei – La plus cyclable des cités asiatiques). L’objectif de ces quelques journalistes spécialisés vélo et bouffe venus du Canada est de remonter vers le nord en pédalant, histoire de prendre conscience du fait que Taïwan ne se contente pas de fabriquer des vélos.
Premier constat : le vélo est ici considéré comme un moyen de transport et a donc sa place sur la voie publique. Nous l’avions noté en visitant Taipei sur un vélo en libre-service, et nous arrivons à la même conclusion en dehors de la capitale. Les vélos sont hiérarchiquement au même niveau que les scooters, ce qui donne, sur les principales grandes routes du pays, un accotement fait de voies vélos et scooters. Étonnamment, nous sommes loin de la circulation anarchique des pays asiatiques voisins. Le Code de la route est respecté par les utilisateurs, et les automobilistes ne roulent pas sur l’accotement réservé aux deux-roues.
Nous empruntons le parcours cyclable no 1 qui jouxte la route 9. Celle-ci s’enfonce dans une vallée tout en longueur coincée entre la chaîne de montagnes du centre du pays et le relief lui aussi montagneux serrant de près le Pacifique. Ce creux entre deux montagnes est l’endroit parfait où faire pousser du riz. Bon, d’accord, c’est bien d’avoir aménagé un accotement cyclable, toutefois la 9 n’est certainement pas un rêve de cycliste. On préférera s’aventurer sur les étroites routes de chaque côté de la route provinciale. Bordées par des rizières, elles sont d’ordinaire tranquilles, et bucoliques à souhait. Nous nous arrêtons à Chishang. La journée de vélo ne sera pas mémorable, mais la bouffe chez la famille Qunxiang, elle, le sera!
Bienvenue chez les Qunxiang!
C’est l’histoire d’un mec tanné de Taipei. Wang Qunxiang est un super cuisinier qui s’inspire beaucoup de la gastronomie française. Il s’est installé… ou, plutôt, il a ouvert les portes de sa maison, euh… de son garage à des clients curieux de tester sa cuisine. Oui, le garage, parce que pour lui le décor ne compte pas. Ne laissez pas le bric-à-brac du lieu perturber votre coup de fourchette ou de baguettes: ce qui est important, c’est ce qu’il y a dans l’assiette. Wang Qunxiang ne déroge pas de son triangle fermier-cuisinierclient – en clair, pas de menu, mais un défilé d’assiettes garnies de produits locaux à la fois simples et judicieusement mis en valeur. Son principe est que le client désirera acheter les aliments de la recette au fermier après avoir dégusté son plat. Autant vous dire que ce fut une succession de surprises, accompagnées de riz ou pas, un mélange inspiré de cuisines française et asiatique pleinement maîtrisées. Personne ne s’est plaint de l’étroitesse du garage!
Comme ce n’est pas un restaurant classique qui affiche ses heures d’ouverture, il est conseillé d’appeler avant.
Tél. : 886 9 3528 4305
No1-9, Wan’an Village, Chishang Township, Taitung County 958, Taïwan
Du Pacifique jusqu’à plus de 3000 m
Enfin, nous quittons la 9 pour atteindre la route longeant le Pacifique. Il faut sortir de la vallée et grimper pendant quelques kilomètres. La suite, sur la route 11, sera une agréable descente puis une série de courbes épousant les méandres de l’eau bleu et vert. Relief doux, accotement large et, comble de bonheur ! une belle piste cyclable séparée des voitures par des bacs à fleurs! Bien sûr, il fait chaud, mais une bonne vitesse de déplacement combinée à la jolie brise marine rend la sortie plaisante. La petite centaine de kilomètres se fait sans trop de circulation. Le vent dans le dos, la vue sur l’océan, que demander de plus ? C’est le temps de prendre ça relax: demain, le parcours du Taiwan KOM Challenge nous attend.
Le Taiwan King of Mountain Challenge, véritable éloge au maillot à pois, se déroule à la fin d’octobre. Le calcul est simple : départ au niveau de la mer, à 0 m d’altitude, et arrivée 105 km plus loin à 3275 m. Le contraste est fort : un climat tropical sur la ligne de départ, un 10oC frisquet et pas mal moins d’oxygène dans l’air à l’arrivée au col de Wuling.
Les choses commencent en douceur du côté de l’aéroport de Hualien, où des avions Mirage nous décoiffent en passant au-dessus de nos têtes. La route suit la rive du Pacifique et se contente d’un 2 % d’élévation pendant les 20 premiers kilomètres. Idéal pour s’échauffer les jambes. Après, fini de rigoler, on entre dans le parc national de Taroko. On imagine aisément, le jour du Challenge, le peloton jouer à l’élastique sur la route de montagne. Celle-ci s’incruste dans la pierre des spectaculaires gorges de Taroko, que nous traversons en profitant de la fraîcheur temporaire. Habituellement, des centaines de touristes, casque sur la tête, déambulent ici en vue de reluquer la profondeur des gorges.
La route a été taillée dans le roc, créant ici et là quelques tunnels. Jusqu’au km 95, l’ascension se fait plutôt tranquillement, avec un dénivelé moyen de 6%. Certes, quelques pointes à 10-12 % pimentent le coup de pédale, mais rien de dramatique. Cependant on se méfiera : l’air se raréfie, et les pauses ont lieu seulement quand on s’arrête dans les magnifiques abris sur le bord de falaises. On doit aussi prendre garde aux passages étroits, où des miroirs ont été installés afin de faciliter le croisement avec les voitures. La végétation se bagarre avec la pierre et l’altitude; nous nous sentons de moins en moins dans un climat tropical.
Une brève descente nous déliera les pattes au km 85, courte trève avant les dix derniers kilomètres, qui sont un véritable enfer. Premier avertissement au km 97 : quelques centaines de mètres à 27 % viennent plomber les jambes et rappeler que l’arrivée est encore loin. Cette fameuse ligne d’arrivée se mérite : aucun répit, et au contraire une succession de pitch douloureux frôlant les 20 %. La végétation luxuriante tropicale a abandonné la partie au profit de fleurs alpines. Nous sommes en altitude, en plein dans les montagnes Hehuan. Au dernier kilomètre, ne jetez pas l’éponge tout de suite : il offre un 9 % de dénivelé moyen avant de pouvoir enfin lever les bras… si vous en êtes encore capable. La sensation est étrange ; on a l’impression d’avoir quitté la touffeur de Taïwan. Dans la même journée, nous avons croisé des forêts de bambous, un vieil arbre de plus de 3000 ans et des fleurs dignes des Alpes.
Soleil sur le lac de la lune
Dans certains voyages de journalistes, le temps nous est compté et quelquefois nous rognons sur le sommeil dans le but de bien profiter de l’endroit. Quand la guide nous a annoncé que si nous voulions faire le tour du lac Sun Moon, ce devait être entre six heures et neuf heures du matin, j’étais quelque peu sceptique. Finalement, elle avait raison : en partant à la pointe du jour, la vue sur le lac est magnifique. La brume glisse sur l’eau lisse comme un miroir. Sur la voie toujours humide de la nuit, pas un automobiliste ne vient perturber le bruit de nos roues libres. De belles courbes, de petites montées, des temples bouddhistes encore endormis et des singes parfaitement réveillés animent la sortie. Une trentaine de kilomètres roulés à la fraîche, une merveilleuse façon d’amorcer la journée dans l’ancienne île de Formose.
Repères
Vol: Taipei direct par la compagnie nationale Eva Air, mais de Toronto
Argent: nouveau dollar de Taiwan (1$ CA = 24 nouveaux dollars). Les distributeurs sont disponibles partout. Taiwan est un pays moderne où il est facile de voyager.
Quand y aller: fin octobre à début mars (évitez début février en raison du nouvel an chinois). Taiwan KOM Challenge Il y a plusieurs façons de s’offrir le Taiwan KOM. Les 17 avril et 8juillet, la rencontre sportive The Road to Taiwan KOM permet d’effectuer le trajet à son rythme. Le 27 octobre 2017, c’est le tour de la version Challenge, qui s’adresse à des coureurs élites.
Taïwan organise aussi un festival de vélo à la riche programmation.
Vélo Mag a été invité par le bureau de tourisme de Taïwan.