Nebbiolo, barbera, freisa, grignolino, des noms qui chantent des cépages vénérés. Les choses se précisent quand on entend barolo ou barbaresco, de grands vins nés dans le Piémont, la deuxième plus grande région d’Italie. Comble de bonheur, ce coin de pays se pédale autant qu’il se déguste.
En venant de France, plus question de douter en passant le col de Tende : le Piémont est bien encadré de montagnes, d’où son nom à forte saveur de relief. Si vous ne portez pas le maillot à pois, pas d’affolement : même si la région est loin d’être une vaste plaine, son relief est plutôt modéré, des buttons par-ci par-là rappelant que la montagne est toujours à proximité. Nous en avons une parfaite illustration dès le premier jour, peu après Cuneo : les trois ou quatre kilomètres sur la petite route vers Montemale di Cuneo serpentent à travers des boisés au dénivelé de 6 ou 7 % qui réchauffe les jambes. Un automobiliste cycliste nous avisera que c’est bien là qu’il faut s’entraîner à grimper.
L’arrivée au village est une belle récompense : une rue étroite, un château, une table et quelques chaises pour déguster un plat de pasta tout simple, et surtout une perspective impressionnante sur la plaine et les collines environnantes. Tout cycliste est invité à donner ses impressions sur le carnet mis à disposition près de la fontaine.
L’autre point de vue marquant se découvre en route vers Fossano, lorsque nous empruntons un large détour par Mondovì. Dans cette région densément peuplée de l’Italie, le cycliste se devra d’ailleurs d’être un maître du détour, les routes directes étant généralement très fréquentées et l’accotement, occasionnellement minimaliste. Il est donc judicieux de choisir les plus étroites, joliment bucoliques.
À Mondovì, vous devez absolument trouver la funicolare qui vous emmènera, votre vélo et vous, au pied d’une grande horloge qui domine la ville et les environs. Certes, vous vous ferez bardasser sur les pavés de la piazza, mais le coup d’œil est splendide, d’un côté sur les vieilles maisons aux toits de tuiles ocre, de l’autre sur les montagnes avoisinantes. Le bruit court que quand cellesci sont enneigées, le contraste du brun-rouge sur le blanc est flamboyant sous le soleil. Nous nous éloignons un peu des montagnes en prenant la direction de Fossano.
Le roi Barolo
On qualifiera facilement d’étape marquante du voyage le parcours entre Fossano et Alba. Ce trajet ne fait qu’une cinquantaine de kilomètres, néanmoins il est très tentant de le rallonger en sillonnant les routes paisibles de la région. Tout d’abord, un arrêt s’impose à Cherasco, où c’est jour de marché. Une rapide traversée permettra de récolter des fruits gorgés de soleil, des tomates bien mûres, une poignée d’olives et des fromages qui ont tout de même quelques leçons à donner aux « fromages d’ici » made in Québec.
À peine sortis du village de Cherasco, nous plongeons au cœur du Piémont et de son paysage unique. La vallée est large et encaissée, révélant sans obstacle courbes et vallons. L’œil voit loin, devinant ici et là une toiture orangée. Aucun arbre, juste des ceps de vigne alignés telle une armée de soldats partant à la guerre. Comme ils sont orientés différemment afin de profiter au maximum des rayons du soleil, ensemble ils forment une mosaïque de lignes vertes entrecoupées par la blancheur de la terre
Ici, tout est axé, focalisé de manière obssessionnelle sur le roi de la place : le cep de vigne. La mauvaise herbe n’a pas droit de cité. Tout est fait dans le but que le raisin de cépage nebbiolo se gorge de rayons solaires. « Cépage improbable, il a à la fois beaucoup de tannins, beaucoup d’acidité et, pour les meilleurs spécimens, des arômes parmi les plus complexes et les plus exotiques imaginables dans du vin rouge », écrivaient Oz Clarke et Margaret Rand dans leur Guide des cépages. On comprend donc qu’un bon barolo se doit d’avoir de l’âge afin que la maturité fasse son œuvre en l’assouplissant quelque peu.
Ne nous égarons pas. Même s’il est facile de rester scotché dans les collines de Barolo, continuons de pédaler vers Alba, puis Asti. Nous passerons tout près de la ville de Bra, le siège social du mouvement international Slow Food créé en 1986 par Carlo Petrini. Il ne s’est pas installé là pour rien…
La rigoureuse géométrie des vignes n’est troublée que par des champs de noisetiers, autre richesse de l’endroit. La plus incomparable des richesses est cependant sous la terre, et il tartufo bianco (la truffe blanche) d’Asti en est le plus grand symbole. Le noble champignon a la remarquable qualité de vous dynamiter un plat, de le faire passer dans une autre catégorie de saveur et de goût.
À imiter: le coup de pédale de Fausto Coppi
Il Campionissimo est né à Castellania, dans le Piémont. Il est l’un des meilleurs cyclistes de tous les temps. Monté sur ses grandes échasses, il avait sur son vélo un style élégant et incomparable. Un des premiers cyclistes à s’intéresser aux aspects techniques de son sport tels que la diététique et l’équipement.
Les saveurs d’Acqui Terme
Décidément, ce voyage est excellent pour le coup de pédale, mais également pour le coup de fourchette. Quand nous arrivons à Acqui Terme, le centre de la station thermale est parsemé de tables et de kiosques de dégustation de produits exclusivement locaux. Ce soir-là, la carte est diversifiée et ambulante : l’objectif est de goûter à un maximum de choses en se promenant à travers les étals. Au menu, deux ou trois volumineux cèpes frits, des tripes accompagnées de haricots, une assiette de risotto au cerf, un peu de tagliatelle ai funghi et, en finale, quelques gnocchis goûteux. Ouf, pour assimiler le tout, rien de tel qu’un gelato fruits des bois et citron.
Et le vélo dans tout ça ? Il nous revient rapidement en tête en quittant Acqui Terme par une longue côte d’une demi-douzaine de kilomètres au copieux pourcentage. Voilà de quoi accélérer la digestion. Notre effort est récompensé en arrivant en haut. L’étroite route s’ouvre comme une fleur sur une superbe vallée nettement plus profonde que celle autour de Barolo. Sans doute aussi moins touristiques, les villages aux vieilles maisons de pierre dorment sans être dérangés… jusqu’à Alessandria. Une des belles journées du voyage : montées sèches, routes tranquilles, la plupart du temps à l’ombre.
Le grenier de l’Italie
À partir d’Alessandria et jusqu’à Turin, nous pédalons dans le grenier de l’Italie. La vigne a daigné laisser sa place à d’autres productions – maïs, fruits, soya, noisettes – de même qu’à d’étonnantes rizières du côté de Casale Monferrato. Il est judicieux de s’élever pour dominer la vallée du Pô. Le grand fleuve prend ses aises, ondule doucement entre les champs.
En approchant de la grande ville, la circulation se densifie. Si on arrive à l’heure de pointe, on devra slalomer entre scooters, autobus et Fiat pilotées par des automobilistes pressés. Attention, le pavé est glissant et les rails du tramway sont traîtres. Ouf, il est temps de s’abriter sous les nombreuses arcades de la ville. L’espace de quelques heures, on délaissera son vélo afin de goûter le chocolat de Turin, voir le Palazzo Reale des ducs de Savoie, visiter le musée du cinéma (le plus grand d’Europe).
La quatrième ville italienne ne signifie pas la fin de notre périple dans le Piémont. Nous filons vers Pinerolo, puis Saluzzo. Nous nous approchons des montagnes en nous frottant à quelques lacets, en grimpant des routes déliées qui traversent des villages paisibles. Relief, paysages et végétations plus alpins, que voilà une charmante manière de finir nos pérégrinations au pied des monts.
L’auteur s’est joint à un groupe de Vélo Québec Voyages.
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