La bio de l’ex-coureur Thomas Dekker est ce qu’on a lu de mieux depuis longtemps en matière de confession d’un ex-dopé. C’est cru, souvent drôle. Et pédagogique.
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Si j’avais rencontré Thomas Dekker lorsqu’il avait 20 ans, je lui aurais probablement foutu des baffes. Ou en tous cas, ça m’aurait sérieusement démangé.
En épilogue, son confident (le véritable auteur du bouquin, finalement) raconte leur première rencontre, à cette époque. Le jeune pro vient le prendre à l’aéroport, dans sa rutilante Porsche. Après trois minutes de conversation, il trouve le moyen de glisser que les pantalons de jogging qu’il porte sont en cachemire. Et qu’ils lui ont coûté plusieurs centaines d’Euros. Vous voyez le genre.
Mais pas besoin d’attendre le commentaire de l’auteur pour que la vérité s’étale sur les pages du livre.
C’est ce qu’il y a de bien, dans Descent : voilà une autobiographie trempée dans l’humour acide, l’autodérision, et qui bénéficie du recul que confère généralement l’expérience humaine. On y comprend rapidement que le Thomas Dekker d’aujourd’hui ne ménagerait sans doute pas non plus les gifles à son propre endroit.
À condition de se rencontrer lui-même au détour d’un petit voyage dans le temps : ce qu’il fait dans ce livre en forme de confession.
Dekker était une petite frappe. De la pire espèce. Mal engueulé. Confit dans son amour-propre, inondé de fric, totalement divorcé du réel. Pourri par le talent, en quelque sorte. Mais aussi par un système qui soustrait souvent les athlètes à la vie. Les voilà qui naviguent dans un univers (et une morale) qui sont propres au milieu sportif dans lequel ils se retrouvent. Avec ce que cela comprend de dérives, et de « normalités parallèles ».
Cycliste junior hors norme, il a rapidement gravi les échelons pour se retrouver chez les pros : une fosse aux lions où c’est parfois l’ambition qui vous dévore.
Aussi, Descent est le livre que tous les jeunes athlètes de haut niveau devraient lire. Il expose parfaitement comment l’ego, alimenté par un entourage à la fois avide et servile, peut transformer une jeune personne malléable en véritable monstre. Suffit d’une carrière et de beaucoup de fric à la clé pour que les vautours s’amènent.
Et à 20 ans, il faut être drôlement solide pour leur résister.
Dekker n’est pas tendre envers lui-même, ni envers ceux qui ont facilité son ascension puis sa chute spectaculaire dans le milieu cycliste. Il raconte l’univers toxique et en même temps étrangement normalisé du dopage chez son équipe, Rabobank. Il expose l’aveuglement volontaire des directeurs sportifs, des gestionnaires. Mais aussi le mode de vie complètement exalté de ses confrères cyclistes.
Si vous croyiez que l’univers décrit par Laurent Fignon dans Nous étions jeunes et insouciants était l’affaire du cyclisme des années 1980, disons que ce que raconte Dekker à propos de ce monde au début des années 2000 n’est guère différent. Des brosses monumentales, des putes, amenez-en! Le monde du cyclisme carbure alors aux extrêmes. C’était avant les « gains marginaux », en plein dans l’ère Armstrong. EPO, omerta, dopage sanguin dans des hotels d’aéroports. On pense à la bio de Tyler Hamilton, ici.
Mais Dekker a ceci de particulier qu’il est aussi un personnage. Hamilton est beige, et un peu triste. Dekker est drôle. Attachant. Il se dit lui-même manipulateur : cette biographie le sert donc bien en ce sens qu’en avouant ses vulnérabilités, en dénonçant un dopage systémique, en faisant acte de contrition, il nous fait presque oublier l’ancien-lui. Le petit con. On a envie de rire de lui, avec lui.
J’irais plus loin : a vraiment envie de l’aimer. Et à la fin, on se sait trop si c’est parce qu’il est rudement habile, ou simplement parce que, derrière la façade de petite frappe, se cachait aussi un bon p’tit gars, bien élevé par des parents attentionnés, mais gâté par le milieu sportif où il devait régner, et duquel il a été mis au ban. Non pas pour avoir franchi la ligne de l’interdit. Mais parce que contrairement aux autres, il s’est fait prendre.
Puis, pour terminer, on se demande : à sa place, à 20 ans, avec tout son talent, avec tous ces gens qui me disent que je suis un demi-dieu, et me couvrent d’or, sans personne pour me ramener sur Terre, aurais-je fait mieux?