Quand on combine la liberté d’une randonnée de plusieurs jours dans l’arrière-pays avec l’ivresse d’une sortie de vélo de montagne, on obtient le cyclocamping, une forme de voyage à vélo qui gagne en popularité.
Taavi Rutishauser est un fanatique de Strava – ou plutôt était. Écœuré par les inévitables comparaisons inhérentes à l’utilisation de ce réseau social virtuel pour cyclistes, il a décidé de s’en débrancher. Complètement. «Désormais, ce sera dans les bois que je trouverai mon bonheur à vélo», s’est-il alors dit. Il venait de franchir le cap des 40 ans.
Un an plus tard, le cycliste québécois s’apprête, «si cela est possible ! », à faire le tour de l’île d’Anticosti en fat bike. À la fin de juin, sa dodue bécane et lui embarqueront sur un bateau à Rimouski afin de gagner PortMenier, le chef-lieu de cette île échouée au beau milieu du golfe du Saint-Laurent. Puis, pendant une semaine, il roulera en autonomie sur les 530 km de côtes sablonneuses et rocailleuses de ce bout de terre de presque 8000 km2.
«C’est le côté “seul dans la nature” qui m’attire le plus dans ce projet», explique le camionneur de profession. Selon lui, le Québec regorge de beaux coins reculés qui n’ont pas encore été explorés sur deux roues. «Le vélo joufflu, tout comme le vélo de garnotte (gravel bike), ouvre ces terrains de jeux», estime-t-il, citant comme exemple les monts Chic-Chocs, en Gaspésie, et la région de la Haute-Mauricie.
Randonnée-camping cycliste
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S’il est tentant de placer Taavi dans la catégorie des originaux, ce n’est pourtant pas le cas. Ici comme ailleurs au Canada et chez notre voisin du Sud, des bikepackers (et fatpackers) prennent la clé des champs au guidon de leur monture munie d’une sacoche de cadre. Loin des routes bitumées, ils sont « activementà la recherche d’aventures de plusieurs jours en autonomie sur des vélos certes chargés, mais pas trop », peut-on lire sur le site internet bikepacking.com, une véritable référence en la matière.
«Pour l’instant, on ressent l’engouement [pour le bikepacking] surtout dans l’ouest du pays. Ce n’est pas encore très présent au Québec, mais ça ne saurait tarder ! » assure Simon Bergeron, cofondateur de l’entreprise québécoise Panorama Cycles. Depuis 2016, cette dernière produit le Chic-Chocs, un fat bike en carbone conçu dans l’esprit du vélocamping. «Si tout va bien, nous prévoyons mettre sur le marché d’ici la fin de l’été notre deuxième produit, un vélo de garnotte lui aussi fabriqué pour la microaventure», annonce-t-il.
Panorama Cycles offre même une vitrine et du soutien matériel aux adeptes québécois de bikepacking comme Taavi Rutishauser. Ou Karine Corbeil, qui a roulé en autonomie d’un refuge à l’autre dans la réserve faunique de Papineau-Labelle, en février dernier, dans le cadre d’un projet pilote orchestré par la Sépaq. Fatteuse depuis trois ans, Karine était, de son propre aveu, «tannée de tourner en rond sur les mêmes pistes». «J’avais envie de vivre des aventures, de me lancer dans l’inconnu, en pleine nature», explique-t-elle.
État d’esprit
Le mot liberté vient rapidement sur les lèvres de ces voyageurs à vélo d’arrière-pays. Selon Félix-Antoine Tremblay, administrateur du groupe public Facebook Bikepacking.qc, qui compte environ 600 membres, c’est d’ailleurs ce qui caractérise le cyclocamping. «Nous avons eu de bons échanges à ce sujet. Nous en sommes venus à la conclusion que le bikepacking est avant tout un état d’esprit dans lequel le matériel et la manière dont il est utilisé ont finalement peu à voir », raconte-t-il. Assoiffé de nature sauvage et accro aux dodos à la belle étoile, Félix-Antoine incarne lui-même cette « manière particulière de rouler» dont il vante tant les mérites. Auteur d’une traversée du Canada où il n’a dormi qu’à deux reprises « dans un vrai camping», le jeune homme évite systématiquement les villes, synonymes de confort et de chemins maintes fois battus. Cet été, il prévoit d’ailleurs parcourir la Jamésie, dans le Nord-Ouest québécois. Les chances sont faibles qu’il se fasse enquiquiner par l’urbanité sur ces 620 km à travers la taïga. n