Pendant des décennies, Pierre Foglia a raconté le Tour de France en particulier et le cyclisme en général. L’enthousiasme pour le vélo, certains le doivent au génie avec lequel il est parvenu à faire entrer ce dernier dans notre culture en le faisant passer pour autre chose.
Pierre Foglia est né et a grandi dans le berceau de la culture cycliste, en France, mais c’est ici, au Québec, qu’il s’est découvert une passion pour la petite reine. Ce qui est un peu comme grandir à Florence pour finalement tomber en amour avec la sculpture de la Renaissance après avoir déménagé à Thetford Mines.
L’improbable rendez-vous entre le cyclisme et Foglia en Amérique doit beaucoup à sa rencontre avec Guy Morin, un ancien coureur, devenu denturologiste et promoteur, auquel on doit le retour des courses de six jours au début des années 1960 et les Championnats du monde en 1974. Avec lui et d’anciens coureurs comme Yves Landry et Magella Tremblay, le journaliste sportif de La Patrie, puis de La Presse, développe et entretient sa flamme pour un sport noyé dans la culture du hockey.
Passé à la position la plus prestigieuse des pages d’actualité du quotidien de la rue SaintJacques, Foglia fera découvrir l’univers cycliste à un public à ce point charmé par son style et son inventivité qu’il le suit de ses fameuses chroniques jusque dans les pages des sports. Le temps du Tour de France, du moins.
« Il a déniaisé beaucoup de monde à propos du cyclisme », expose Pierre Hamel, ancien éditeur de Vélo Mag, qui l’a poussé à rassembler ses chroniques pour en tirer un livre intitulé Le Tour de Foglia et chroniques françaises. « Il combinait la course avec le côté humain, il entrait dans la tête des coureurs, il expliquait la stratégie. »
Mais chez Foglia, comme toujours ou presque, un motif caché finit par se révéler. Le vélo devient souvent un prétexte pour décrire les choses qui se détachent à l’arrière-plan. La beauté et la laideur. La vie et la mort. C’est pour cela qu’on le lit même si on se fiche du vélo. Il fait notre éducation, presque malgré nous. « Tout le monde se rappelle son papier après la mort de Fabio Casartelli…», illustre Pierre Hamel. Un papier mémorable, c’est vrai. On se souvient du titre (Maillot noir), et d’images imprimées dans la mémoire comme si on les avait vues de nos yeux. Les doigts d’Armstrong pointés au ciel, dédiant sa victoire d’étape à son coéquipier qui, quelques jours plus tôt, avait succombé à la suite d’une chute. Et Foglia qui pleure avec la madame à côté de lui. Le sport est un théâtre de l’humanité qu’il raconte avec une inégalable maestria.
Pour le cyclisme d’ici aussi, le chroniqueur de La Presse a fait beaucoup.
Les coureurs comme Yvan Waddell et Gervais Rioux se remémorent avec amusement son éviction du village olympique après quelques papiers désobligeants à propos de l’équipe canadienne. «Nous sommes devenus amis», raconte Waddell en riant. «Sa manière de parler de vélo était unique», ajoute Rioux.
Au fil du temps, Pierre Foglia a permis que se construisent des légendes locales, simultanément aux internationales. Même si quelques-unes seront ternies par les scandales de dopage.
À plusieurs, cependant, il a simplement donné le goût d’enfourcher le vélo pour intégrer le paysage qu’il décrivait dans ses chroniques. Surtout lorsqu’il mettait en scène sa propre pratique, chez lui, ahanant dans sa Joy Hill, filant sur les routes de terre au Vermont ou s’arrêtant à L’Œuf, à Mystic, caresser le chat et manger une crème brûlée.
Si le vélo est aussi populaire au Québec, aujourd’hui, c’est en partie grâce à lui. Mais ce que nous lui devons, surtout, c’est une sorte de poésie du sport. Une œuvre semblable à celle d’un Paul Fournel en France. Quelque chose qui transcende l’effort et la mécanique. Foglia raconte le cyclisme, oui. Mais ce qu’on retient, c’est son talent à rendre la beauté du geste. n