Sur la terrasse d’un café situé sur la rue principale de East Burke, ma fiancée et moi-même faisons connaissance avec un couple de la Rive-Sud de Québec. Le contact s’effectue facilement, nous parlons de tout et de rien, mais surtout de voyages et de vélos. Nous sommes tous ici pour rouler, après tout.
Au fil de la conversation, je leur demande dans quelle boutique ils se rendent pour leurs achats, leurs entretiens. Je ne la nommerai pas, vous allez rapidement comprendre pourquoi.
– Mon mécano est bon, mais chaque fois que je vais là, c’est comme si je ne savais rien, me dit notre nouvel ami.
– Comme si t’étais un tata
– Ouin…
Cela l’ennuie, mais il semble avoir accepté la chose comme un état de fait : les mécaniciens le traitent avec condescendance depuis trop longtemps pour qu’il s’en formalise.
Ce n’est pas comme cela partout. Mais un snob est un snob de trop dans ce milieu fragile, qui ne devrait pas souffrir le dédain d’une minorité supposément éclairée qui répond à la démocratisation du sport en levant le nez.
J’ai écrit quelque part que rouler, c’est aussi politique. Eh bien on est là : il ne s’agit pas d’une guerre, d’une affaire de factions, de puristes et de néophytes. C’est d’inclusion dont nous avons besoin. Plus de monde sur la route, dans les trail, sur les pistes : voilà qui va faire grandir le sport.
Mais au fait, d’où vient ce mépris?
Nocif Élitisme
J’ai passé de longues périodes de ma vie à travailler en boutique (8 ans, presque 9 au total). Est-ce que j’ai toujours bien agi? Non. J’avais 20 ans. J’étais un jeune con, et j’avais parfois le sentiment de faire partie d’une sorte de clan, d’une bande d’initiés, détenant un savoir qui me paraissait essentiel, incontournable. Surtout en ce qui concernait l’entretient de machines soumises aux rigueurs d’une utilisation fréquente, dans des conditions parfois brutales.
(Pour tout vous dire, j’étais autrement plus détestable avec la musique. Si j’avais travaillé dans une boutique de disques, j’aurais sans doute été pire que les employés dans High Fidelity. J’étais -et suis encore un peu, mais je me soigne- un music snob.)
Je réservais cependant mes commentaires désobligeants à quelques bons clients, des rouleurs aguerris, auxquels je reprochais le plus souvent qu’ils ne se soucient pas du « bien-être » de leur monture. C’était, disons, ou enfin il me semble, de bonne guerre.
Mais à la boutique de vélo, certains confrères agissaient avec un mépris pas même dissimulé envers les clients qui n’entraient pas dans le moule des initiés, ceux dont la vie ne tournait pas qu’autour du bike. Et ça me mettait mal à l’aise.
Aujourd’hui, cela m’enrage.
Si vous êtes une femme et/ou que votre IMC outrepasse clairement les paramètres de ce qui est considéré comme le « poids santé », il se peut fort bien que vous sachiez de quoi je parle. Dans un récent article publié par Bicycling, une coureuse pro raconte que chaque passage en boutique nécessite la récitation d’une quantité suffisante d’informations qui la rend « valable » aux yeux du personnel afin d’obtenir un service décent. Dix minutes pour montrer patte blanche. Chaque fois. Et comme le précise l’article, tandis que le marché des boutiques subit l’assaut de l’achat en ligne, ce comportement est carrément nocif.
Heureusement, il y a plein de contre-exemples. Des marchands où l’on tente non pas d’exclure les néophytes, mais bien de les convertir au plaisir de rouler en leur expliquant les choses avec le souci de transmettre sa passion. Pas de l’écraser aux visages de celles et ceux qui, en apparence, du moins, ne la partagent pas encore.
Je le répète : ça aussi, c’est politique
Le but, après tout, c’est de faire des ventes, de mettre plus de monde sur des vélos, de rendre la pratique la plus large possible, afin de la développer, de profiter d’infrastructures de plus en plus vastes et bien conçues, parce que largement utilisées…
Pas de fonder une secte.