Une nouvelle série sur une équipe cycliste pro aussi controversée que la Movistar sur Netflix? Ma curiosité morbide l’a emporté sur tout le reste. Y compris les nouvelles de la pandémie. J’ai tout mis en veille. J’ai regardé d’un trait ou presque.
Je suis passé à travers Le jour le plus inattendu comme s’il s’agissait d’un sac de chips Lays ondulés ouvert au retour d’une sortie de 150 bornes au grand vent. Un gavage de six épisodes qui nous amènent dans le ventre d’une drôle de bête, la plus ancienne équipe WorldTour encore en activité : Movistar.
En gros, on y repasse à travers les trois grands tours de la saison 2019, de l’intérieur, pour comprendre tout ce qui s’est bien passé, mais surtout la quantité ahurissante de choses qui ont merdé au sein de l’équipe pourtant brillamment pourvue.
Valverde portant l’arc-en-ciel. Mikel Landa dans une forme de feu. Quintana, détenteur de deux titres au général de grands tours (le Giro en 2014 et la Vuelta en 2016), Richard Carapaz qui va remporter le Giro, Marc Soler (Tour de l’Avenir en 2015, Paris-Nice en 2018), Andrey Amador, Winner Annacona, etc, etc.
La forme pédale carré
Résumons en un mot la critique de la réalisation : c’est assez poche. L’emballage est propret, le générique et la musique d’une insoutenable mièvrerie, les entrevues studio après passage au studio coiffure-maquillage: d’une révoltante banalité. Tout comme les mises en scènes de conversations dans le bus…
Ajoutons aux défauts de conception les retours dans le temps qui servent à exposer les racines de telle décision ou la préparation de tel coureur, mais qui arrivent souvent comme un cheveu sur la soupe et rompent avec le rythme dramatique de la série.
Parce que, oui, même en connaissant l’issue de toutes ces courses, même en connaissant la nature de toutes ces chicanes de famille qui émaillent ce récit, subsiste une tension dramatique. Et c’est en bonne partie pour cela que la série est captivante. Movistar crée des situations extraordinairement susceptibles de créer du psychodrame. Comme avoir presque autant de leaders de leaders qu’il y a de coureurs au départ d’un grand tour. Chaque fois. Donc, même si on en savait déjà beaucoup, on en apprend encore plus. Et c’est fou comme c’est superbement tordu tout ça.
Mise en abîme involontaire
Il y a donc deux choses vraiment passionnantes dans ce docu qui est aussi, ne l’oublions pas, une clinquante opération marketing pour l’équipe et son gourou patron, Eusebio Unzué.
D’abord, il y a l’idée d’un accès privilégié. Quand Marc Soler refuse les ordres de ses patrons, qu’il se fâche, on prend quand même plaisir à voir le DS sauter un plomb et massacrer l’intérieur de la voiture d’équipe à grands coups de poing.
Mais au-delà, ce qui me plait le plus, dans tout cela, c’est la maladresse de l’ensemble. Car c’est elle qui est la plus révélatrice de la vérité que l’on prétend nous montrer, mais qu’on dissimule si mal qu’elle transpire plus clairement encore dans tout ce théâtre.
Je m’explique en donnant un exemple.
Pendant le Tour de France, les tensions internes entre Mikel Landa et Nairo Quintana étaient évidentes. Là où d’autres équipes, comme Ineos, par exemple, gèrent plutôt bien ces situations, Movistar peine à faire preuve du minimum de cohésion requis au sein de l’équipe.
Afin de mettre en scène la fausse bonne entente de tout le monde, le responsable des communications décide alors, pendant le Tour, de faire une petite vidéo dans le bus d’équipe, avec les deux rivaux et l’autre, jamais loin derrière pour « tirer les marrons du feu », comme il le dit lui-même : Valverde.
Or, tout le monde joue faux. La vidéo pue le mensonge. Personne ne croira à l’entreprise de relations publiques qui va se retourner contre ses acteurs dans la presse. Les membres de l’équipe en parlent dans la série et se disent : eh ben, ça s’est retourné contre nous, faut croire.
Or, cette tentative de manipulation de l’opinion publique, c’est la mise en abîme de toute cette série qui éveille en nous une sorte de fascination morbide. Il y a des explications auxquelles on ne croit pas une seconde. En particulier toutes celles de Valverde, qui semble se réjouir secrètement des conflits internes qui lui permettent de tirer son épingle du jeu et de briller.
Les rencontres entre coureurs sont froides, les célébrations de victoires d’étapes parfois glaciales. On filme une équipe qui implose, on annonce un à un les départs majeurs (Quintana, Landa) et on tente du même souffle de nous dire que tout va bien dans la plus grande équipe du monde.
Rien ne va plus. Mais tout le monde garde le sourire. Sérieux, c’est du bonbon.