Je suis collé. Ça fait deux semaines.
C’est quoi, être collé? C’est d’avoir la sensation que nos pneus sont mous et s’agrippent à l’asphalte (ou à la terre), nous empêchant d’avancer à une vitesse « normale ». Sauf que c’est pas une affaire de chiffres. Je vais aussi vite qu’avant, ou presque, et on peut dire que, pour un gars qui ne fait plus de courses et n’a plus de réelle structure d’entraînement, je suis en très bonne forme. Et je n’accuse même pas tout à fait un kilo de plus que l’an dernier.
Ce sont les sensations qui posent problème.
J’en ai parlé avec Bruno Langlois, mon ancien coach. Il m’a dit qu’il connaissait parfaitement la sensation, que ça arrive aussi aux pros : t’es fort, mais tu te sens dégueulasse, et à cause de ça, t’as l’impression de ne pas avancer. Comme si je devais faire 25% plus d’effort pour obtenir le même résultat.
Et à la base, ce qui fait ça, c’est évidemment la fatigue.
Le stress covidien
Je fais partie des chanceux. Je n’ai pas perdu mon boulot. Mon entreprise va bien. Mais comme d’autres, j’ai des soucis familiaux qui me grugent de l’énergie. Et puis, depuis le début de la crise, il y a une sorte de stress ambiant qui agit comme une sorte de moteur qui roule tout seul dans nos têtes et pompe une quantité surprenante de carburant de nos corps.
J’appelle ça le stress covidien.
En entraînement de sports d’endurance et en particulier en cyclisme, on utilise beaucoup les mesures de TSS pour jauger la forme. Ce fameux TSS (pour training stress score) s’accumule pour atteindre une sorte d’équilibre très fragile entre forme et fatigue. Tu stresses le corps, il s’adapte, et à moins de dépasser un certain seuil et de tomber dans l’épuisement, tu pètes le feu.
Mais cette mesure ne tient pas compte du WSS (working stress score), du FSS (family stress score) ou du MHSS (mental health stress score).
Je niaise, parce que dans la littérature, si on mentionne bien ces facteurs comme de véritables drains d’énergie qui nuisent à la forme et s’ajoutent au TSS, ils n’existent pas comme tel. Je les ai inventés pour me souvenir que ce n’est pas tout d’aller rouler fort, de continuer à faire un peu d’intervalles pour garder le pic.
D’autres forces conspirent parfois contre nous. Invisibles. Inaudibles. Mais cruelles. Comme quelqu’un qui pète dans une auto.
Se sortir du trou
Je ne connais pas 106 moyens pour m’extraire de cette situation. Et je dois le faire au plus vite, car le danger, c’est de me mettre à rouler toujours plus encore, toujours plus fort, et de me brûler, de me dégoûter du bike.
Pas une tonne de moyens, donc. J’en connais quelques-uns. Peut-être pas efficaces avec tout le monde, mais ils fonctionnent chaque fois que ça m’arrive.
Le premier : réduire le volume et varier les plaisirs. Chaque début d’été, je vire fou, je fais du kilométrage de dingue. Et mon système, peu habitué aux longues heures de selle, finit par trouver ça dur. À force de faire d’importantes sorties, on devient aussi mentalement fatigué, parfois, et ce qui constitue un médicament universel pour la santé mentale (rouler), devient un poison. Donc pour changer le rythme, je prends mon vélo de montagne plus souvent, je vais courir un peu, je fais du yoga les jours de pluie. Et je roule un peu moins en général.
Ensuite : surveiller mon sommeil. Depuis quelques semaines, je dors bien, mais pas assez. Il me manque, je dirais, une heure par nuit. Ce manque finit par s’accumuler et le corps par encaisser le coup. Je dois dormir plus.
M’amuser est aussi essentiel. J’ai parlé à plusieurs cyclistes de bon niveau qui m’ont dit ressentir la même fatigue. Nous avons été privés de vie sociale. Les événements sportifs ont été annulés, nous retirant nos objectifs de saison. On a un peu l’impression de rouler fort pour rien. (à celles et ceux qui vont m’écrire que je devrais m’amuser… c’est d’aller vite qui m’amuse, c’est comme ça).
Il est grand temps de profiter de cette pause pour nous amuser. Nous avons tous besoin de boire des bières, dire des conneries avec des amis, faire des choses inutiles, mais amusantes avec nos familles. Ça détend.
Et finalement, se botter le cul et sortir même quand ça ne nous tente pas. Ça peut avoir l’air contradictoire avec ce que j’ai écrit plus haut, mais précisons : les journées où le corps déraille, où l’idée d’embarquer sur ton vélo vous dégoûte : ne le faites pas. Mais en cas d’hésitation, si tu niaises à t’habiller et remplir tes bidons, tu te trouves des choses à faire pour ne pas partir : arrête de gosser et vas-y.
Hier, c’était comme ça. Je suis parti faire 100 bornes. Pendant les 2 premières heures, je me suis senti comme une merde. Et faire les équerres quand tu te sens mal, ça peut être long. Mais après le dernier bout dans le vent, entre le boulevard Valcatier et Val Bélair, j’ai trouvé mon second souffle. L’énergie était revenue, je descendais Jean-Gauvin, vers le rang Notre-Dame, en m’imprégnant de l’éblouissante nature. Je suis revenu vers la ville avec le turbo du vent de dos, à mach 12. Une belle Quadrupel (la Moineau de Avant-Garde) m’attendait au frigo, ma blonde avait ramassé un souper au resto, mon corps irradiait la chaleur et je me sentais bien. Comme presque toujours, heureux d’avoir roulé. Même si j’étais un peu collé les deux premières heures.