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Le blogue de David Desjardins

Retrouver le temps long

26-06-2020

Photo: Oktay Yildiz sur Unsplash

Le parc de la Mauricie était complètement désert. En trois heures sur la route Promenade qui mène de St-Mathieu à St-Jean-des-Piles, j’ai vu dix voitures, dont 6 aux couleurs de Parcs Canada.

J’avais la place pour moi seul et roulais au beau milieu de la route. La forêt. Le soleil. Les lacs. Et une surface lisse comme un billard, qui serpente et vallonne à n’en plus finir.

Mais au bout d’une trentaine de minutes, j’en avais assez. J’ai même failli retourner. Je ne sais pas trop ce que me prenait. J’avais d’assez bonne jambes et je n’allais de toute manière pas si vite. Qu’est-ce qui se passait? C’était comme si je n’arrivais pas à me caler dans l’instant. Des pensées m’assaillaient. Je n’étais pas là, distrait. Un peu plus et je sortais mon téléphone pour faire défiler les conneries sur Instagram. Je m’emmerdais.

Au temps du déficit d’attention généralisé

Le lendemain, je vivrais la même chose en tentant de regarder 8 ½ de Fellini. Je l’avais déjà vu, pourtant, et avais adoré, mais à peine passée la prémisse du rêve, au tout début, le rythme me paraissait pénible, lent. Je m’emmerdais encore.

J’ai fait comme pour ma sortie de vélo et me suis accroché, m’en tenant à mon plan de départ.

Retour dans le temps et dans le parce la Mauricie, je roule depuis un peu plus d’une heure lorsque ça se passe: je suis bien ici et maintenant. Mon cerveau s’est adapté. Il n’attend plus d’être stimulé à chaque instant, et la répétition du geste, méditative, finit par opérer. Je vois soudainement mieux le décor, les lacs, je regarde par delà les arbres qui longent la route et j’inspecte la forêt. J’écoute le vent, le sens sur ma peau, mon corps se met à l’unisson avec ce sentiment et je me sens si bien que, si personne ne m’attendait, j’irais au bout du parc avant de revenir.

Il se produit la même chose avec le film. Je m’adapte. Comme mon oreille à un film irlandais, ou écossais, qui finit par se couler dans l’accent. Le rythme devient non seulement soutenable, mais un refuge contre les distractions. Je ne regarde plus mon téléphone, je ne me lève pour aller chercher un truc à manger. Je suis dans le temps long du film comme j’étais dans celui de ma sortie de vélo. Je suis heureux de m’être accroché, d’avoir fait l’effort de ne pas céder à la nouvelle programmation de mon cerveau, de plus en plus habitué aux récompenses rapides et fréquentes.

Le cinéma contre les séries télé. Les longues sorties de vélo de route contre les quickies volés à des journées endiablées. La lecture de romans plutôt que d’articles dans mon cell. Je tente par tous les moyens de ne pas céder à cette époque où le temps se retrouve hachuré, émincé, condensé en expériences incroyables et en moments d’une sublime brièveté où l’ennui n’a jamais le temps de s’installer, si bien qu’on n’a jamais le temps non plus d’entrer en soi et de profiter de ce qui se passe. Et dès que le moindre temps mort arrive, on ignore quoi faire, on cherche à s’en sauver. À revirer de bord et rentrer à la maison. À arrêter le film et regarder un épisode d’une comédie sur Netflix.

J’aime le vélo de route parce qu’il est déphasé d’avec l’époque. Il demande du temps. De la patience. Il est un antidote à notre ère qui glorifie le déficit d’attention.

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