Publicité
Le blogue de David Desjardins

Souvenirs du Ventoux

27-07-2020

Deux choses ramènent mes souvenirs du Ventoux à la surface de ma mémoire. La course, le Ventoux Dénivelé Challenge, sera une des premières compétitions de cette étrange saison de courses en cette étrange année. Et puis, je me surprends à souvent regarder mes photos de voyage de vélo depuis quelques jours. Je commence à rêver aux prochains en rêvassant, faut croire.

Publicité

C’est ma fiancée qui m’a dit : allez, on y va.

Je venais de faire deux semaines dans les Pyrénées. Des jours à aligner les cols de légende. Un après l’autre. Je laissais mon pote Jérôme à l’aéroport de Toulouse et revenait y chercher ma blonde le surlendemain. Puis nous allions passer les 14 jours suivants dans l’Hérault, pays de vin qui longe les contreforts sud du Massif Central au Nord et la mer au Sud.

– Le Ventoux, t’es sûre? C’est loin quand même.

Je conduirais, alors. 400km aller-retour. Elle m’attendrait à Bédoin en lisant. On irait voir le Pont du Gard au retour, tiens. C’est sur la route, entre Nîmes et Avignon.

– C’est ça, là?

Elle a vu la montagne de loin. Impériale, flanquée de massifs qui paraissent en assurer la garde. Arrivé au bas, nous avons laissé l’auto dans le premier stationnement avant Bédoin, mais à la mi-septembre, on ne se bousculait guère dans le village, presque désert.

Je suis parti avec le sourire de celui qui s’en va rencontrer son idole en tête à tête, même si je savais ce qui m’attendait : une lente et gentille sortie de Bédoin (3, 4 puis 5%), et hop, on vire à gauche, et c’est parti pour 9 km d’interminables rampes à 9,5% de moyenne, en moyenne. Et ça, c’est seulement pour sortir de la forêt. Après, il en reste encore presque 7 bornes pour arriver au sommet.

Mais j’avais la forme. Comme un puit sans fond d’énergie. Et s’il n’y a rien à voir dans ce col forestier, une fois qu’on a passé Les Bruns, au 6e kilomètre, il y avait en revanche du monde en masse sur les pentes avec qui s’amuser. Des grimpeurs par grappes ou en solitaires. Je les passais en leur souriant tous, en disant bonjour. Je montais comme si c’était facile. Un jour magique.

– Vous essayez de battre un record, me demande un Allemand avec un accent à couper au fleishmesser.

Oui, le record de la grimpe la plus enthousiaste. Il y a des cols qui font mal, dont on est bien plus contents de les avoirs faits que de les faire. Celui-ci, je me le suis envoyé avec un sourire grand comme ça, même si ce n’est pas le plus heureux, et qu’on se sent parfois écrasé par sa dense forêt.

Jusqu’à ce qu’on arrive à chalet Reynard. Là, j’ai été pris d’une émotion rare. Plus grande qu’en haut du Tourmalet, où il y avait tellement de motards que mes yeux se mouillaient surtout en raison de l’odeur entêtante du monoxyde de carbone.

Tout à coup, vous sortez du bois, vous voyez le chalet, et en haut, les presque sept bornes suivantes s’étalent en lacets sur le sol lunaire que surmonte une antenne qui fait justement penser à la fusée dans Tintin. « J’ai roulé sur la Lune », me disais-je en me levant sur les pédales, oubliant le coût des efforts précédents, porté par la perspective de toucher la tête du géant de Provence.

À la stèle qui marque le lieu où est mort Tom Simpson pendant le Tour de 1967, j’ai été chaviré par l’émotion. Il y a des fantômes sur les montagnes, ici, comme dans le vieux Forum à Montréal. On les croise et ils nous serrent leur cœur, nous obligeant à les rejoindre un moment dans la légende, la tragédie, la grande épopée cycliste.

Il ne me restait alors qu’un kilomètre à faire. Il m’a paru durer une seconde. Même si la route, pour les deux dernières bornes, se redresse à 10 et 9%. En haut, des gens par dizaines. Et pour une fois, le Mistral était vraiment gagnant, c’est à dire presque absent. Pas même besoin d’enfiler une veste. Il faisait presque 20 degrés au sommet. J’ai rencontré des Québécois. Acheté un souvenir hors de prix. Puis, après m’être imprégné de tout ce que la hauteur permet de voir à l’horizon, je suis replongé vers Malaucène. Le peur au ventre, faisant crier mes freins à disques dans les longues rampes où je prenais plus de vitesse que je ne l’aurais voulu.

Un petit Col de la Madeleine m’attendait sur la route du retour. Des champs à perte de vue. Des vignobles.

Ma blonde souriait quand je suis arrivé.

-C’était comment?

Magique, bébé, magique. J’ai conduit sur le chemin du retour, comme prévu. Nous avons tourné les talons en voyant qu’il en coûterait 40 euros pour voir le Pont du Gard. À la place, nous sommes rentrés au village, à la maison de nos amis, près de Béziers, et nous avons ouvert une bouteille de rosé. Peut-être deux. Il y avait des étoiles dans le ciel. Mais plus encore dans ma tête.

Publicité

Autres suggestions

Le blogue de David Desjardins

Novembre, dehors

Je vais rouler dehors aussi longtemps que je le pourrai cette année. Samedi et dimanche, je me suis fait deux courtes sorties. À peine 55km du même ...
David Desjardins 06-11-2024
Le blogue de David Desjardins

Apprendre (la mécanique) à la dure

Il y a un plaisir évident et une fierté certaine à parcourir la route vers l’autonomie mécanique. Il y a aussi de grands moments ...
David Desjardins 01-11-2024
Le blogue de David Desjardins

Rouler est un poème

Il y a parfois plus de poésie dans une sortie de vélo que dans une soirée de slam. Le son du caoutchouc sur s’asphalte humide est un sonnet ...
David Desjardins 01-11-2024