Je m’intéresse aux enjeux de diversité dans le cyclisme comme dans le reste. Parce que c’est une réflexion nécessaire sur le plan sociétal. Mais aussi parce que, de manière pragmatique, on pourrait aussi dire qu’elle est au cœur du développement continu du cyclisme sous toutes ses formes.
À commencer par les déplacements urbains, puis les loisirs. Si vous préférez : plus le vélo sera accessible, plus il sera populaire.
Or, c’est parfois dans les choses simples que cette diversité trouve le moyen se manifester.
La pluralité des utilisateurs commence par le genre, donc la place des femmes à vélo, dont il a été rendu clair qu’elle dépend de l’existence d’un réseau cyclable sécuritaire. L’explosion de pistes cyclables récréatives et de voies cyclables sécuritaires se multipliant, on voit déjà la différence.
Je dis qu’il s’agit d’une chose simple… Disons que cela commence à un changement de mentalité, pas toujours aisé, fruit de nombreuses années de militantisme. Un mouvement qui s’exprime dans la volonté politique. Mais aussi individuelle.
Car par delà les dollars consentis aux aménagements, les automobilistes doivent leur part autrement. Je ne compte plus de nombre de femmes -des hommes aussi, remarquez, ils le disent sans doute moins souvent- qui m’ont raconté avoir cessé de rouler sur la route après avoir été frôlée par une auto ou un camion. C’est le genre de comportement auquel, tristement, on s’habitue. Mais si, déjà, on ne se sent pas techniquement apte à bien réagir en cas d’urgence, c’est aussi le genre d’événement qui peut vous décourager de la route pour de bon.
Les agents de changement
Récemment, le comédien Didier Lucien disait ne plus regarder la télé québécoise. Parce qu’il ne s’y reconnait pas. Et parce qu’il y a quelque chose de cruel à s’imaginer tous les rôles qu’il ne tiendra jamais à l’écran en raison de sa couleur.
On pourrait dire la même chose du cyclisme professionnel.
C’est la conclusion qui s’est imposée au jeune Tao Geoghegan Hart, champion du Giro d’Italia l’automne dernier.
Le jeune prodige de l’équipe Ineos Grenadier parait avoir été biberonné aux convictions fortes. En 2016, il refusait l’offre de l’équipe Sky pour demeurer avec l’écurie de Axel Merckx, Hagens Berman Aexon, et y conclure son parcours chez les moins de 23 ans. Par principe. (On peut d’ailleurs l’y voir dans le documentaire Rêves d’enfer, alors qu’il participe à Paris-Roubaix Espoirs) Dans une entrevue donnée au magazine Procycling duquel il fait la couverture, il raconte son plaisir à vivre à Londres. Il évoque la richesse cosmopolite de East London, comment celle-ci le nourrit.
Il s’inquiète d’ailleurs, dans cette entrevue, de la difficulté d’accès au cyclisme et du manque de modèles issus des minorités.
Le voilà donc, à seulement 25 ans, qui annonce qu’il financera un poste au sein de son ancienne équipe, afin de promouvoir la diversité. Ce sont ses paroles.
Oui, Tao a sans doute récolté un joli pactole en boni en remportant le Giro. Il n’est pas pour autant forcé de donner ce qui doit représenter au moins 50 à 60 000$ afin de faire évoluer son sport, de donner sa chance à un jeune espoir et de fournir un modèle différent aux jeunes afin de les intéresser à son sport. À notre sport.
Mais il a compris que nous pouvons tous être des agents de changement. Comme membres privilégiés d’un groupe, comme simples citoyens, comme automobilistes qui dépassons des cyclistes, comme politiciens qui prenons des décisions parfois impopulaires pour modifier les infrastructures de déplacements urbains et changer le cours de l’avenir…
Il existe mille manières d’inspirer, de transmettre l’envie de rouler. On n’y pense pas si souvent, mais cela passe aussi par le volonté de poser des gestes afin que le monde puisse s’ajuster et changer. C’est le terreau que nous entretenons afin de pouvoir nous y multiplier.