En cet automne de quatrième vague, l’exaspération des gens se fait sentir tandis que l’été s’attarde. Mais chez nous, il n’est pas question de nous plaindre. Chaque sortie de vélo nous rappelle que la vie est précieuse et l’impatience, totalement vaine.
Les matins ne sont plus ce qu’ils étaient. L’air froid du petit matin me fait frémir. Mais l’été ne semble pas encore tout à fait parti non plus. Dès le milieu de l’avant-midi, on se croirait revenu en août.
L’automne s’installe, donc, mais il emprunte encore ce qu’il a de plus doux à l’été. Suffisamment pour sortir en court au milieu de la journée et imaginer que la belle saison durera toujours. Un Endless Summer, comme le titre de l’album des Beach Boys. Milieu de semaine, je me sauve pour une sortie de montagne entre deux rendez-vous. Je grimpe le sentier en fredonnant Surfin’ Safari -des Beach Boys, toujours- que j’ai modifié pour l’occasion en Bikin’ Safari. Je ris tout seul de ma blague avec l’enthousiasme d’un Yvon Deschamps.
Les feuilles tombent à peine, c’est anecdotique. Arrivé au sommet, on voit la forêt qui commence à se couvrir de tavelures ocre et orange. Discrètement. Comme les quelques taches de vieillesse qui apparaissent sur mon visage de quarantenaire désormais plus près de la cinquantaine.
C’est le lendemain de l’élection. Le premier jour de l’automne. L’ambiance générale est au plus pénible.
Est-ce moi où les gens sont d’une incroyable impatience, partout où l’on va? Sur la route, j’essuie plus de commentaires désobligeants que jamais. Dans les commerces, les échanges tournent rapidement au vinaigre. Une contrôleuse routière me disait vendredi, alors que j’étais allé rouler vers Neuville: « j’ai jamais vu ça, le monde passe proche de me tuer, me frôlent, veulent pas attendre. Ils m’insultent. Ils vont où comme ça qui presse temps? »
Nulle part, justement. Je pense que c’est ça qui le tue. On leur redonne la liberté de mouvement et ils ne savent pas quoi en faire.
Alors je me sauve dans les rangs perdus ou dans les montagnes. Les dindons croisés au Mont-Sainte-Anne et les perdrix de Lac Delage ne souffrent pas du choc post-traumatique de la pandémie ou d’une décevante quête de sens à donner à leur vie.
J’aurais pourtant de quoi péter les plombs. En août, on a diagnostiqué un cancer à ma fiancée. Nous vivons depuis dans une réalité parallèle. Mais dimanche dernier, elle a roulé avec ses amies, en montagne. Deux jours après la chimio. C’était comme une victoire arrachée au crabe de merde qui tente de la grignoter. Elle avait un sourire grand comme ça. C’était peut-être pas le plus beau jour de sa vie, mais sans doute parmi les plus doux depuis qu’on lui a annoncé la mauvaise nouvelle.
J’avais roulé de mon bord. La fatigue et les endorphines avaient engourdi notre irritabilité et les impatients de la route ne nous émouvaient plus guère. Nous avions volé quelques moments au destin qui teinte notre quotidien d’un voile de tristesse. Le vélo est notre normalité. Nous la retrouvions pour un temps. Le bonheur simple du mouvement, des descentes et des cris de joie que pousse ma fiancée quand ses roues quittent le sol.
Nous nous étions soustraits à la gravité, dans tous les sens du terme.
J’en suis presque venu à plaindre celles et ceux qui sautent les plombs pour rien ou paraissent avoir désappris les simples principes du vivre-ensemble. Une pandémie n’a pas suffi à leur rappeler à quel point ce que nous prenons pour acquis est précieux.
Leur exaspération m’est soudainement apparue pour ce qu’elle est. Puérile. Et vaguement indécente.