Le plus troublant dans le dopage sportif, c’est qu’il prive tout le monde d’une certaine vérité. Les athlètes qui se dopent, qui subissent le phénomène et le public. Car on ne saura jamais vraiment qui étaient les meilleurs.
Il y a quelques semaines, j’ai réalisé une entrevue avec Geneviève Jeanson.
Peu importe votre niveau d’intérêt pour la compétition cycliste, si vous avez plus de 30 ans, vous savez de qui il s’agit. Résumons quand même : d’abord prodige, célébrée sur toutes les tribunes, Jeanson connaît de 2004 à 2006 une série rocambolesque de dérapages professionnels qui ne laissent de doute à personne au final : la native de Lachine s’est dopée.
Elle le niera formellement jusqu’à ce que Alain Gravel, de l’émission Enquête, lui tire les vers du nez. S’ensuivra une longue et éprouvante remontée depuis les abysses que fréquentent celles et ceux qui vivent en apnée dans un monde de mensonges. C’est un lieu de solitude profonde où l’on retient son souffle en attendant d’être pris, vivant dans un univers parallèle où l’on se fabrique une réalité qui menace sans cesse de s’effondrer.
Je vous invite à écouter cette entrevue parce qu’elle n’est pas étrange ni malaisante. Au contraire. Après des années de thérapie, à confronter les abus dont elle a été victime et qui l’ont amenée à se doper, Jeanson est remontée à la surface et a mis le feu au petit théâtre de ses fictions. Le passage où elle évoque sa réconciliation avec sa rivale, Lyne Bessette, est particulièrement révélateur : il s’agit d’un moment d’humilité dont seuls les véritables repentis sont capables.
N’empêche, à sa place, à celle de toutes ses rivales, ce qui me tannerait plus que quoi que ce soit, c’est de ne pas savoir.
Aurait-elle dominé son sport quand même?
C’est, je trouve, le bout le plus cruel du dopage : il prive tout le monde de la vérité.
On ne saura jamais
Il peut se produire mille choses qui empêchent le ou la meilleure athlète de triompher. C’est encore plus vrai en cyclisme où les erreurs tactiques comme les malchances techniques peuvent vous coûter la victoire. Il existe donc mille manières de se faire voler la course de sa vie. Quelqu’un chute devant vous. Un spectateur vous accroche. Une moto trop près de l’échappée lui permet de lever les voiles en lui offrant l’abri du vent pendant quelques secondes décisives.
Mais la triche est une bête qui taraude autrement. C’est une réalité parallèle où tout le monde ne joue pas avec les mêmes règles.
Et celles et ceux que cela doit obséder plus que quiconque, ce sont les gagnants.
Bon, pas tous. Il y a toujours des psychopathes pour mettre la photo de leurs sept maillots jaunes sur Instagram après avoir pleurniché chez Oprah.
Mais pour les autres. Pour ceux qui, comme Jeanson, se sont retrouvés dans une spirale toxique les ayant menés à la triche, comment vivent-ils sans savoir ce qui se serait produit s’ils n’avaient pas commis l’irréparable? Je ne lui ai pas demandé. Ce sera pour une prochaine fois.
Je voudrais savoir, parce que c’est ce bout-là qui doit être le plus dur à raccorder dans sa tête. Même si tu te fais prendre. Même si tu es puni. Ne pas savoir, ne pas pouvoir revenir en arrière et recommencer. Ça me tuerait.
Mais en même temps, peut-être qu’elle en est revenue. Ça ne m’étonnerait pas. Parce que ce que j’ai préféré de mon entretien avec Geneviève Jeanson, c’est qu’elle a fait la paix avec elle-même, avec les abus qu’elle a vécus, avec un passé qu’elle ne peut pas changer.
C’est là qu’elle est la plus forte. Sans parler de celles qui ont été en mesure de lui pardonner. Elles aussi sont confinées à l’inconnu pour toujours. Ça prend du courage, de l’empathie, une capacité incroyable de pardonner pour passer par-dessus ça. Chapeau.