Joe Breeze, c’est l’instigateur, le pionnier, le gars qui, en 1977, a imaginé et soudé de ses mains le premier vrai vélo de montagne. Aujourd’hui, lorsque vous contactez le Marin Museum of Bicycling, à Fairfax, en Californie, à la recherche d’images d’archives, c’est lui qui répond. Nous l’avions contacté à l’occasion de la production du livre que nous venons tout juste de publier : Guide pratique du vélo de montagne – le bonheur est dans le bois. Notre échange à propos des images de l’époque s’est prolongé.
Gilles : Vous faisiez partie d’une bande d’amis qui sillonnait les chemins forestiers entourant le mont Tam, dans Marin County, près de San Francisco, au guidon de klunkers, ces vieux vélos à gros pneus tout déglingués. Parlez-nous de Repack Road.
Joe : C’est là que tout a commencé. C’était une route en terre battue qui dégringolait de 1300 pieds sur tout juste 2,1 miles, que nous descendions le plus vite possible. À force de freiner dans tous les virages, les freins à tambour de nos antiquités surchauffaient et la graisse à l’intérieur se vaporisait. Après une ou deux descentes, il fallait les remplir à nouveau de graisse, d’où le nom de repack.
Gilles : Cette descente est ensuite devenue une course ?
Joe : Quand vous rassemblez des gars compétitifs, chacun veut prouver qu’il est le plus rapide. Fred Wolf et Charlie Kelly, encouragés par Alan Bonds, ont créé la course Repack. Ils ont dégoté un vieux chronomètre de la marine et passé le mot dans la communauté. Le 21 octobre 1976, dix gars étaient au départ de la première compétition de descente de l’histoire. Alan Bonds a été couronné vainqueur : c’est le seul qui n’est pas tombé !
Gilles : À quoi pensiez-vous derrière votre masque de soudeur alors que vous fabriquiez votre Breezer 1 ?
Joe : J’avais le sourire fendu jusqu’aux oreilles. Je savais que ce vélo ferait tourner des têtes, autant chez mes amis qui roulaient sur des klunkers que parmi ceux qui regardaient de haut nos vieilles bécanes.
Gilles : Sentiez-vous que quelque chose de gros en découlerait ?
Joe : Au début, j’étais concentré sur le court terme : par combien de secondes allais-je gagner cette course ?
Gilles : Et puis ?
Joe : Dès sa première descente, le vélo a été victorieux, et il a donc été facile de vendre ma première production de dix cadres. Mes amis non cyclistes m’ont vite demandé de l’essayer. Ils revenaient tous avec ce même grand sourire sur le visage. Le vrai test a été réalisé avec mon père, le champion des sceptiques. Un cycliste de route, ingénieur automobile et machiniste, allergique aux modes, qui me demandait toujours si j’allais finir par jeter aux poubelles tous ces vieux vélos. Un jour, je finissais d’assembler un rutilant Breezer pour Larry Cragg. Mon père l’a aperçu et m’a demandé s’il pouvait l’essayer. J’étais épaté qu’il fasse cette demande ! À son retour, j’étais sous le choc : il arborait lui aussi ce large sourire ! Il m’a dit : « Tu sais, ce vélo-là pourrait aller quelque part à un moment donné. » C’est là que j’ai compris que nous nous dirigions vers quelque chose de gros.
Gilles : Que pensez-vous de l’état actuel de ce sport ?
Joe : Il s’est répandu partout dans le monde et a amené beaucoup de gens au cyclisme, même pour les déplacements quotidiens, et ça me rend très heureux. Ce sport est plus pratiqué que jamais. Après 50 ans, c’est un sport olympique depuis 25 ans, et il continue de se développer dans différentes sortes de pratiques. Le vélo de montagne est le meilleur outil pour être en forme dans son corps et dans sa tête.
Gilles : Comment voyez-vous le futur ?
Joe : Je crois que l’implication est la clé. Des cyclistes de montagne enthousiastes occupent maintenant des postes de pouvoir dans l’industrie, dans la gestion du territoire, etc. Ils doivent être à l’écoute des besoins de tous. Le changement arrivera peut-être plus lentement, mais il sera plus durable.
Si vous passez par Fairfax un jour, ne manquez pas de visiter le Marin Museum of Bicycling/ Mountain Bike Hall of Fame. C’est un pèlerinage incontournable pour tous les cyclistes à gros pneus.