Le Tour de France est là. Vos amis n’y comprennent rien? Vous avez de la difficulté à leur expliquer les règles, les différents maillots, les stratégies d’équipe dans un sport individuel? On essaie, ici, de bien vulgariser ce sport complexe pour mieux le faire partager à vos amis. Second texte de la série : une petite histoire d’un immense événement sportif, créé pour faire de la politique et du fric.
C’est un journal qui a inventé le Tour de France.
Un journal avec une histoire assez peu reluisante, faut-il préciser. Il se nomme d’abord L’Auto-Vélo et il est précisément fondé afin de faire concurrence au journal Le Vélo, un autre média sportif qui s’est porté à la défense Alfred Dreyfus, un capitaine d’armée juif, d’origine alsacienne, accusé, à tort, de trahison.
L’affaire ébranle toute la France pendant des années, suscitant même la colère d’écrivains et intellectuels comme Emile Zola qui va suivre l’affaire et écrire à son sujet un pamphlet célèbre titré J’accuse. C’est un moment sombre de l’histoire de la France qui expose l’antisémitisme toxique qui sévit en Europe et préfigure le pire à venir de ce siècle.
L’Auto-Vélo est donc du mauvais côté de l’histoire. Plus encore, le journal est forcé de changer son nom pour L’Auto, puisque son appellation première, trop près de celle de son concurrent est vue pour ce qu’elle est : une manœuvre illégitime.
C’est donc un papelard au papier jaune, appelé l’Auto qui va créer le plus grand événement de vélo.
Inventer des histoires pour les raconter
Afin d’assurer sa survie, L’Auto décide de créer, en 1903, un événement cycliste hors du commun qui permettra de célébrer les exploits plus grands que nature de sportifs : le Tour de France, imaginé par Géo Lefèvre.
C’est cependant son directeur, Henri Desgranges, un ancien cycliste, qui imprimera sa marque indélébile sur l’événement qui se tient depuis, chaque année, sauf pendant les guerres mondiales.
L’idée est simple : si on crée un spectacle sportif complètement fou et qu’on en rapporte les péripéties, les lecteurs suivront. Et ça marche. L’auto va triompher de ses concurrents. (Mais devra fermer ses portes en 1940 pour des prises de position en faveur de l’occupant nazi pendant la Seconde Guerre Mondiale).
Le Tour est cependant encore une affaire de médias : il est détenu par ASO, ou Amaury Sport Organisation, une société d’événements sportifs, filiale du Groupe Amaury, qui détient le journal sportif L’Équipe.
Les débuts du Tour
À ses premières années, l’événement ne ressemble pas beaucoup à ce qu’il est aujourd’hui.
Les épreuves sont moins nombreuses, mais interminables. Elles constituent une sorte d’exaltation patriotique de la France. Manière de montrer au monde que ces sportifs qui parcourent des centaines de kilomètres chaque jour, sont de véritables surhommes.
Il faut lire les textes de l’époque: de véritable orgies d’exagérations et de superlatifs.
Dès la troisième année, en 1906, le parcours atteint des distances monstrueuses. Entre 1906 et 1951, la moyenne de la distance d’un Tour est de 4 962km (aujourd’hui, elle se situe un peu au-dessus de 3000km). Et le tour se fait alors en moins d’étapes, qui font toujours plus de 200km et souvent au-delà de 300km. Cela, sur des routes cahoteuses, avec des vélos primitifs.
« Vous êtes des assassins »
Il faut attendre 1910 pour que le Tour s’attaque aux montagnes. Elles n’ont rien à voir avec celles d’aujourd’hui, sinon leur altitude. Et les vélos, eux, n’ont pas de dérailleur : il faut prendre la roue arrière et la changer de position pour utiliser un pignon plus favorable aux montées. La première grande étape du genre rallie Luchon et Bayonne. Elle fait 325km et comprend l’ascension du Peyresourde, de l’Aspin, de l’Aubisque et du Tourmalet. Aucun de ces cols n’est pavé. Au final, le grand champion Octave Lapize lance aux organisateurs : « Assassins, vous êtes des assassins » afin de souligner le caractère complètement dément de l’épreuve.
Après tout, l’idée est de créer des histoires folles à raconter. Les coureurs ne sont que les pions d’un jeu qui sert à vendre de la copie.
L’année suivante, on ajoute des cols des Alpes à l’épreuve qui commence de plus en plus à ressembler à celle d’aujourd’hui et dont les grandes montées deviennent instantanément le décor des légendes que l’on connait.
La business du Tour
Dans les années suivantes, les règles changent souvent. Il y a des équipes, puis il n’y en n’a pas. Elles sont de retour et sont commerciales (sous l’égide d’un fabricant de cycles, par exemples), puis nationales. En 1969, l’événement commence à ressembler à son acception actuelle : des équipes commanditées par des marques ayant ou non un rapport direct avec le cyclisme.
Mais peu importe la manière dont est organisée la course, elle demeure encore et toujours une immense machine à fric. Cela fait d’ASO la plus puissante organisation cycliste, bien plus importante, en réalité, que l’Union cycliste internationale, qui ne parvient pas vraiment à lui dicter ses règles.
Les droits télévisés, la mythique caravane du Tour (qui précède les coureurs sur le parcours, avec des chars criards, aux couleurs des commanditaires), les ventes de l’Équipe, les commandites : malgré que l’événement a perdu de son lustre en France, il demeure incontournable et s’est internationalisé. C’est une immense machine à imprimer des Euros qui cultive parfaitement son image et défend rudement son territoire.
Prochain texte: Les légendes du Tour