Membres de la communauté des personnes de petite taille, Rose-Anne Éthier et Sylvain Perron sont impressionnants. En raison du nanisme dont ils sont atteints, on imagine sans peine les frustrations surmontées face aux préjugés, notamment pour faire du vélo activement au sein d’un groupe. Pourtant, dans une randonnée, leur bonne humeur éclate comme du maïs soufflé. Portraits de deux êtres inspirants.
Rose-Anne Éthier, du haut de ses 122 cm, épate par son ardeur. On dirait une fourmi ouvrière embarquée dans le monde du vélo comme on part en expédition extrême : avec fougue et audace. Elle roule regard concentré, perçant, pétillant comme la blanquette de Limoux. Elle adore le vélo, pédalant non seulement les week-ends, mais tous les jours pour se rendre au boulot. « J’allonge mon trajet matin et soir pour pédaler plus longtemps. Je mouline même l’hiver quand l’état des routes est sécuritaire. Je voudrais m’initier au vélo de neige (fatbike), mais je suis incapable d’en dénicher un à ma taille », souligne-t-elle. L’an passé, Rose-Anne a atteint la soixantaine et signé son record à vie en franchissant le cap des 5000 km. Elle en est fière : « Pas pire pour une fille qui est montée sur une bicyclette à l’âge de 15 ans seulement. Ma mère me l’interdisait, jugeant que c’était dangereux en raison de mon handicap. Heureusement, mes soeurs voyaient les choses différemment. »
L’influence d’Explo Tour
Sylvain Perron, chauffeur de poids lourd qui passe de longues heures sur la route à bord de son camion adapté à ses 150 cm, se contente annuellement d’environ 1500 km de bicyclette. Il avoue être moins mordu que sa conjointe, mais il ne regrette rien une fois qu’il est sur le vélo : « Je m’en confesse, j’ai vécu certaines de mes plus agréables sorties quand ça ne me tentait pas et que Rose-Anne insistait. Disons que dès qu’on annonce du vent, je resterais tranquille à la maison. » Pour ces deux personnes chaleureuses, le club Explo Tour a fait figure de deuxième famille. « Explo Tour trace de si beaux parcours et nous avons rencontré tellement de gens sympathiques ! note le quinquagénaire. Nous étions présents aux randonnées du samedi autant qu’à celles du dimanche, chaque fin de semaine, jusqu’à ce que nous décidions d’alterner avec des événements populaires. »
La révélation
Si Sylvain roule depuis toujours, il en est autrement pour Rose-Anne. La révélation a été provoquée par un membre de sa famille en 2014. « Son frère, un grand fervent, tenait à ce que nous l’accompagnions pour une longue randonnée sur la piste du P’tit Train du Nord, raconte Sylvain. Le problème, c’est que nous possédions des hybrides inconfortables, des vélos d’enfants dotés de petites roues et de seulement sept vitesses. » Tous les trois ont donc pris la direction de l’usine d’un fabricant québécois réputé. « On nous a répondu qu’adapter la bécane de Rose-Anne était impossible. Alors plutôt que nous résigner à cet impossible, nous avons filé chez Marinoni », se rappelle Sylvain. Giuseppe Marinoni lui-même s’est occupé d’eux et a recommandé à Rose-Anne un vélo sur mesure muni du même nombre de pignons qu’un modèle adulte. Et, surtout, avec des roues de 24 po et un tube horizontal mieux positionné, une bénédiction pour elle. « Jusque-là, chaque fois que je voulais démarrer ou m’arrêter, je devais trouver une chaîne de trottoir, explique Rose-Anne. Et j’avais toujours eu des bicyclettes d’enfants lourdes qui m’empêchaient de rouler en groupe. Maintenant, je me régale. »
Le sur-mesure de Marinoni
Ainsi, la véritable piqûre, nos valeureux la doivent au frérot et à Giuseppe… « Monsieur Marinoni nous a reçus comme des rois, se remémore Sylvain. Il a examiné attentivement le vélo de Rose-Anne. Nous avons mentionné ce qui ne convenait pas. Il a questionné. Quand nous sommes revenus chercher le nouveau vélo, il m’a lancé : “Et toi, je t’en fais t’y un ?” Surpris, j’ai accepté. Je ne me plaignais pas de ma monture… cependant mon confort est multiplié depuis l’acquisition de mon Marinoni ! » Rose-Anne, elle, affiche ouvertement sa gratitude : « Quel service fantastique nous avons obtenu ! J’en ai tellement parlé à l’Association québécoise des personnes de petite taille que maintenant, au moins une dizaine d’hommes et de femmes se sont mis au vélo et pédalent sur un Marinoni ! » Quand Giuseppe a rencontré notre couple, il a d’abord dit ne pas en avoir conçu pour des individus atteints de nanisme depuis 40 ans. « Madame m’a répliqué : “C’est une excuse parce que tu n’es pas capable.” Ça m’a piqué… J’ai posé plusieurs questions parce qu’il me fallait comprendre l’enjeu. Chaque petite personne est différente. Leur satisfaction me rend très heureux. Quelle fierté de pouvoir permettre à des gens de faire du sport ! »
Handicapés, vraiment ?
Depuis qu’ils possèdent des produits sur mesure, la pratique de nos Montérégiens explose. « Sylvain me dit souvent que je ne pense qu’à pédaler ! Je me sens bien à vélo, argumente Rose-Anne, ça me détend. En plus, c’est bénéfique pour ma forme. » La saison dernière, Rose-Anne et Sylvain ont pris part à quelques cyclosportives, au tour cycliste Peace and Love de Boucherville ainsi qu’à l’événement 300 km pour la vie au profit de la Fondation Cité de la Santé. « Lors du 300 km pour la vie, par exemple, relate Rose-Anne, j’étais extrêmement fière d’accomplir mon premier 300 km en deux jours. À l’arrivée, il y avait plein de monde et on m’a accueillie en vedette. On nous regarde comme des curiosités. Il y avait des photographes. Mon idole, la chanteuse Claude Valade, était là pour m’applaudir. » Sylvain renchérit : « Quand nous faisons notre épicerie, on vient nous voir pour nous dire qu’on nous a aperçus sur les routes à tel ou tel endroit. » « J’ai souvent considéré que la communauté des petites personnes se plaint trop facilement, fait valoir Rose-Anne. Si ces gens goûtaient au vélo, leur quotidien se métamorphoserait. » Ce n’est pas nous qui allons la contredire…