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Destinations, Hors-Québec

Alpes à vélo : La tournée des grands espaces

21-04-2023

© Vélo-maurienne.com – @stefanoellea & @giovax

L’idée? Partir du lac Léman et descendre jusqu’à la Méditerranée en empruntant un chapelet de cols mythiques des Alpes françaises. Le plan ? Faire le voyage en mode semi-assisté, sans rien trimballer d’autre que son courage, de village en village, d’hôtel en hôtel. Le résultat ? Rien de moins que le plus beau voyage de vélo de ma vie.


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Aéroport de Genève, août 2022. Je suis tellement heureux d’être là, en compagnie de mes amis Charles et Shan, et que nos vélos aient fait le voyage en même temps : je jubile. Le café pourri à 5 $ tiré d’une machine sur les quais souterrains de la gare de train qui étire ses rails sous les tarmacs helvètes me paraît délicieux. Tout est affaire de contexte. Le décalage horaire s’est vaporisé en même temps que mon jugement gustatif. Après des mois de réclusion, de doute à savoir si un autre confinement surprise viendrait contrecarrer nos plans, nous y sommes : Thonon-les-Bains, à quelques encablures de Genève, du côté français de la frontière.

© Vélo-maurienne.com – @stefanoellea & @giovax

Nos appréhensions coulent à pic au milieu du lac Léman pendant que nous descendons au fond des choses : localiser l’appartement loué pour trois jours avant le grand départ, dénicher une succursale de téléphonie Orange afin de nous procurer des cartes SIM de voyage, remonter les vélos au plus vite en vue d’une première patrouille de reconnaissance du voisinage.

L’expérience des nombreux voyages cyclistes s’avère payante. Quelques heures après notre atterrissage, l’appart est repéré, les téléphones sont en mode euro et les vélos sont parés. Direction plein sud pour 40 petites bornes dans les villages des environs. Après trente minutes, le tintement des cloches au cou des vaches, les prés verdoyants et le ciel azuré distillent leur charme. Nous rentrons parce que le soleil décline.

Prélude

Je rêvais depuis longtemps de ce genre de périple : une traversée des Alpes en huit étapes nous menant de Thonon à Menton, alors que nous sommes accompagnés d’un guide qui transporte nos sacs et nous attend au prochain village.

Nous poursuivons notre découverte des alentours avant le départ officiel. Direction le col de la Joux Verte, vers Morzine. Première et unique averse de tout le voyage, première descente humide sur un asphalte huileux. Il me faut quelques virages pour retrouver la main : freiner avant la courbe, vérifier que la route au-devant est libre, plonger dans l’intérieur du virage et redresser en suivant l’apex sans toucher aux manettes.

Le lendemain, le col du Feu, celui du Corbier et les gorges du Pont du Diable concluent notre prélude. Nous sommes conquis avant même d’avoir tutoyé les légendes.

Premier acte : personnages et tribulations

© Vélo-maurienne.com – @stefanoellea & @giovax

Au matin du départ officiel, nous faisons rapidement connaissance avec celles et ceux en compagnie de qui nous serons. Un couple de jeunes Québécois, quelques Français de différents âges et d’origines diverses (de la Normandie à la Provence en passant par la capitale), quelques Britanniques, une Canadienne de Nanaimo et un groupe d’Allemands. Nous sommes 18 au total, en outre de notre guide qui nous précède en camion.

Le principe est assez simple : les cartes des parcours nous sont fournies en format GPX, et nous les exportons vers nos ordinateurs de bord Wahoo et Garmin. Notre guide communique avec nous dans une discussion de groupe via WhatsApp afin de nous indiquer le lieu où il nous attend pour le déjeuner (les amateurs de charcuteries et fromages locaux sont quotidiennement comblés, mais les véganes n’ont pas à se plaindre non plus), puis l’endroit précis où trouver l’hôtel du jour.

Peu de temps après le départ, nous nous heurtons aux premières embûches : du 10e au 50e kilomètre de la journée, nous montons presque sans relâche. Ensuite, après une longue descente, nous nous lançons dans le légendaire col de la Colombière. Shan et moi imposons un rythme rapide. Les zones boisées succèdent aux pâturages, puis s’effacent au profit de décors caillouteux. Premier grand sommet, première ivresse alpestre. Ça commence à peine et nous n’en revenons pas d’être là.


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Vertiges de l’amour

© Vélo-maurienne.com – @stefanoellea & @giovax

Au deuxième jour, je suis doublement accro. Et l’effet de stupeur persiste. Nous avons beau nous mettre dans le rouge à chaque col, les paysages éblouissants et les horizons sans fin finissent par s’imprimer sur nos rétines. Un jour après l’autre, l’extase ne cède nullement à l’habitude. La haute montagne n’est jamais banale.

Je suis fou de ces hauteurs qui me laissent tantôt voir les splendeurs surréelles du glacier du mont Blanc, tantôt les sommets d’apparence désertique qui couronnent l’Izoard. S’alignent des montagnes dont les virages en épingle à cheveux qui s’enchaînent me permettent d’atteindre les sommets (l’Iseran, la cime de la Bonette). Je suis aussi épris de l’effort, de la douleur, de ce corps dont je teste les limites tous les jours. Abonnés à l’exagération, nous ajoutons presque quotidiennement un col au programme. Une distance de 130 km et un dénivelé positif de 4000 m ? Aucun problème. Mes jambes hurlent dans le col du Pré. Elles sont pratiquement éteintes dans le cormet de Roselend, comme noyées dans les eaux turquoise qui baignent le barrage en contrebas. Un autre jour, elles me surprennent de fraîcheur dans l’Iseran, où la difficulté de la grimpe me fait quasiment oublier la frousse que m’a flanquée le tunnel sombre et trop passant vers Val-d’Isère.

Un autre jour, et encore un défi. Lorsque nous décidons, Shan et moi, d’attaquer le col de Granon après avoir franchi ceux du Télégraphe et du Galibier, le duel qui nous oppose jusqu’au sommet manque d’avoir raison de moi. Dissimulée derrière des immeubles résidentiels de Briançon, la brutale ascension fait 11,3 km à 9,2 % de moyenne. Pas de replat, aucun répit. C’est là que Jonas Vingegaard a démoli Tadej Pogačar quelques semaines plus tôt. Shan tente de me semer de la même manière. Je reviens sur lui au prix d’une bonne nausée. Le sommet est une délivrance. J’y arrive exsangue, le visage blême : tout mon sang irrigue mes cuisses.

Défoule sentimentale

Il y a quelque chose de parfaitement sublime dans ces efforts qui se répètent et se suffisent. Lorsque nous entreprenons le col de la Bonette après avoir franchi ceux de l’Izoard et de Vars, nous contemplons les quelque 24 km (6,6 % de moyenne, gain d’altitude de 1500 m) comme des condamnés volontaires. Au bout d’une quarantaine de minutes, Shan me regarde et me dit : « Tu sais qu’il nous en reste encore pour une heure, hein ? » Pendant ce temps, pour la centième fois, je cherche un pignon que je n’ai pas. Mon braquet le plus facile, le 36 x 30, me semblait déjà insuffisant dans le Granon. Cette fois, quelques dents supplémentaires auraient sans doute ralenti mon usure. Or la vue au sommet sera la plus belle d’entre toutes. La descente durera elle aussi une éternité. La bière qui m’attend à l’hôtel est si rapidement éclusée que j’en commande une seconde quelques instants plus tard.

Tous les jours, nous exultons. Dans la vallée menant au col de la Cayolle. Dans les flancs forestiers du Valberg. Dans les caps brutaux et sauvages du col de la Couillole, à fond de train dans la Madone d’Utelle. Puis nous sommes pris par l’émotion en traversant Saint-Martin-Vésubie, avant le dernier col du jour, à La Colmiane. La petite localité est en lambeaux. Des maisons à moitié arrachées par les exceptionnelles crues de 2020 n’ont pas été reconstruites et nous apparaissent, éventrées, comme d’émouvants témoins d’une catastrophe qui a marqué les esprits de toute la région.

Nous soupons une dernière fois avec toute la bande. La dernière tournée de cognacs finit de m’assommer, et la montée du col de Turini, le lendemain matin, se fait dans le silence. Nous sommes fatigués. Je cuve mon alcool. Cependant l’humeur reprend son souffle au fil de l’avant-midi. Après avoir découvert quelques passages discrets qui se tapissent dans l’ombre du col de Braus – les cols de l’Ablé, de l’Orme, de Castillon –, nous plongeons vers Menton durant 30 km. L’ivresse de la vitesse nous gagne. L’émotion aussi. La chaleur augmente à mesure que nous rejoignons, pour la première fois en presque deux semaines, le niveau de la mer. Le corps et l’esprit vibrent de concert. Les vélos sont remballés sur le trottoir en plein soleil, à 40 degrés. Les adieux sont courts. Mais je me souviens encore de chaque visage. De chaque montagne aussi.

© Vélo-maurienne.com – @stefanoellea & @giovax

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