On voudrait un spectacle plus exaltant pour nous faire oublier le printemps tardif. Mais le Giro nous sert, cruellement, une assiette de misère froide, humide et grise.
Le lexique cycliste est un vaste champ de torture. On s’y assassine, on s’enrhume, on est cuit, à la ramasse, on se prend un coup de bordure, on est le marteau et aussi parfois le clou sur lequel on frappe. On explose, collectionne les grimaces de douleurs, on saute le moteur, on « finit à pied », on pioche, on mange du vent. Ça frotte, ça secoue, ça tombe, ça s’empile, ça s’arrache la peau, ça saigne des yeux.
Le Giro (Tour d’Italie) est souvent le théâtre du spectacle parfois sordide que constitue la course cycliste. Un véritable donjon S&M où tout le monde adorerait le Lycra.
La pluie, le froid, les hautes montagnes encore enneigées et les tempêtes y sont monnaie courante. C’est là, sur la terre de Fausto Coppi, que se fabrique la mythologie doloriste du cyclisme. (Pensez à un coureur arrivant au sommet d’une montagne des Dolomites, entouré de murs de neige, incapable d’enfiler un gilet, mais glissant un journal sous son maillot pour éviter de prendre (trop) froid dans la descente.)
L’Italie des martyrs
Cette année, par, contre, on a droit à un Giro gratiné en matière de suppliciés.
J’écris ceci après la douzième étape, donc à mi-chemin de l’épreuve complète. Je compte 40 abandons pour toutes sortes de raisons : chutes, COVID et autres maladies. Le classement général n’y échappe pas : le maillot rose évacué pour cause de coronavirus (Remco Evenepoel) et Tao Geoghan Hart (Ineos) parti en ambulance après une chute horrible. La pluie n’a pas discontinué. Les chutes se multiplient dans le peloton. Mark Cavendish a réussi à survivre à une translation latérale involontaire -suivie d’une chute- en plein sprint.
Mais 40 abandons, c’est 5 équipes complètes, quand même.
Il règne sur la course une sorte d’ambiance de désolation qui empêche le plaisir de s’installer. Le détenteur du maillot rose, Geraint Thomas, sourit à peine lorsqu’on lui présente une tunique qu’il n’enfile que par défaut. Evenepoel devrait la porter à sa place.
Double déprime
On peine même à s’enthousiasmer des moments forts. Ce supporter qui gueule sur le Canadien Derek Gee dans la pluie diluvienne (« Allez! Y’a rien là comparé à l’île de Vancouver!! »), alors que ce dernier tente sa chance dans le final avec quelques échappés de bon calibre. La victoire improbable de Davide Bais. La belle performance de Trek, avec Skujins dans les échappées et Pedersen dans les sprints. Cav, qui ne s’en sort pas si mal. Magnus Cort, alliant toujours ses talents de brillant stratège et de puncheur viscéral. Et Primoz Roglič, discret, qui aiguise patiemment la lame de son glaive…
Restent neuf étapes. De la haute montagne, dès le weekend. Espérons d’avoir enfin plus de passes d’armes que de drame. Plus de duels que de forfaits. Il fait un temps de merde ici aussi, on mérite un meilleur spectacle pour oublier qu’il a neigé mercredi.