La série Unchained (Dans le peloton) de Netflix est riche d’enseignements de toutes sortes. En voici une poignée et quelques remarques au passage.
Pour le néophyte, Dans le peloton constitue une superbe immersion dans la dynamique d’équipe et le fonctionnement tactique du cyclisme. Un sport individuel qui se pratique en groupe, des ambitions personnelles qui doivent être accordées avec celles du collectif : c’est loin d’être évident à comprendre.
Quand est venu le temps de regarder les deux derniers épisodes de la série, ma fiancée m’a dit : peux-tu m’attendre, svp, j’aimerais ça les voir avec toi.
Je n’allais pas bouder mon plaisir de partager ma passion dans un format facilement digestible et superbement emballé. Elle connait Pogačar (qu’elle surnomme affectueusement Focaccia), van Aert, van der Poel et Hugo Houle. Ça s’arrête là. Elle a découvert toute une série de règles, d’us, de tactiques et de coureurs. Surtout, elle a été séduite par la trame narrative amplifiée par le scénario de la production.
À la fin, elle avait presque les larmes aux yeux avec moi. Parce que bon, je suis sensible de même : les victoires sportives, ça m’émeut.
Les grands mythes ont toujours la cote
On se croirait parfois dans Les Forçats de la route d’Albert Londres en écoutant ce docu qui fait l’apologie du glossaire doloriste du cycliste sur route. Des combattants, des gladiateurs, amenez-en des synonymes de soldats et de masochistes prêts à se désâmer pour la victoire en rivalisant de douleur. J’y ai adhéré, c’est ce que j’ai tout de suite aimé du vélo quand je m’y suis d’abord intéressé : ce récit homérique du héros qui vainc tout, et en particulier son propre seuil de tolérance, pour triompher. Ça fonctionne encore, faut croire.
Les Anglais sont alright
« C’est qui, lui? Il a l’air vraiment plus cool que les autres… » m’a demandé Fiancée à propos de Geraint Thomas. Pas besoin de grands efforts pour que la production rende le champion du Tour de 2018 plus sympa que la moyenne. Surtout devant un Wout van Aert minéral, que l’on a décidé de faire passer pour le « méchant », tout comme Tadej Pogačar, « l’ours qu’il ne faut déranger ». L’ursidé le plus souriant et moqueur du peloton, ouais.
Mais on peut parler d’un solide changement d’image pour la Sky/Ineos dont on a souvent dénoncé le contrôle maniaque de l’image et l’accès restreint aux médias. Quand Pidcock pisse en roulant en pleine échappée et que son directeur sportif, Steve Cummings (lui-même un ancien demi-dieu de l’évasion spectaculaire) balance « He’s a fucking legend », Ineos fait oublier son statut d’équipe aux moyens pharaoniques et au dédain pour la joute médiatique. On a envie d’aller prendre une bière avec eux. Ou d’encore « manger du poulet et du riz », comme s’en désolé Pidcock en riant un peu quand même.
Je me tanne pas de Madiot en éruption
Ça fait longtemps qu’on connait la volatilité de Marc Madiot. « C’t’un peu coach de vie, son affaire », m’a dit Fiancée, soulignant ainsi sa propension à débiter des phrases creuses de croissance personnelle comme s’il s’agissait de perles de sagesse.
N’empêche, voilà un bonhomme qui croit. Dans le meilleur sens du terme. Même quand c’est impossible. Et ça donne un fichu de bon spectacle (en plus d’être inspirant pour son équipe). C’est peut-être un peu trop, ça se peut.
Aussi, j’aime bien me moquer de son enthousiasme excessif lorsqu’un de ses coureurs part à l’attaque… le plus souvent pour faire patate. Mais je respecte aussi sa passion et cette foi qu’il a dans ses petits gars. Malheureusement pour Madiot et son escouade, et comme il le dit dans une archive devenu célèbre (voir ci-bas): à la FDJ, on dirait souvent, effectivement, qu’ils sont maudits. Ça a sans doute pas mal à voir avec le poids de la nation qu’ils portent presque à eux seuls.
La santé des coureurs passe après le Tour
Le traitement réservé à Ben O’Connor pendant le Tour est sans doute ce qui, pour moi, a le moins bien passé dans ce docu-spectacle. Salement blessé après une chute, la détresse de celui qui a fait 4e sur la Grande Boucle l’année précédente semble se perdre dans la traduction. Mais ce décalage de communication est visiblement un prétexte pour son équipe afin de le pousser à poursuivre la course malgré une douleur accablante.
Au détriment de la santé du coureur et de son avenir, on le pousse à continuer. Lorsqu’il n’en peut plus, on lui demande d’en remettre encore.
Parfois, on a un peu l’impression que cette mythologie de gladiateurs en lycra finit par avoir raison de la raison. Sans parler du fameux poids de la nation. Oui, le Tour est important pour une équipe de française. Mais de là à risquer la santé, voire la carrière d’un talent aussi prometteur?
Les pavés, c’était encore plus chaotique de l’intérieur
Tout le monde qui a regardé le Tour l’an dernier se souvient lorsque Jonas Vinegegaard a changé trois fois de vélo (ou était-ce quatre, j’ai arrêté de compter) après un ennui technique. L’accès à l’intérieur de la voiture d’équipe nous a permis de constater que l’information à laquelle nous avions accès grâce aux images de la télé nous permettaient de juger mieux que l’équipe de soutien de ce qui se tramait. À l’interne, c’était le bordel total. « Who needs a bike, who needs a bike??!! » et quelques tonitruants “Fuuuuuuuuuck” entendus dans la voiture laissent devenir le niveau de confusion de la calibre olympique qui est en train de, croit-on alors, coûter le Tour à l’équipe Jumbo Visma. Ajoutez Roglič qui se replace une épaule après se l’être démise. Heureusement, c’est le jour où Wout van Aert se remet au service de son leader pour le ramener à l’avant et minimiser les dommages. Un de ses moments de rédemption après avoir joué la gagne en laissant son équipe derrière.
La crash porn, ça pogne
À la troisième répétition du visionnement de la chute de Fabio Jakobsen en Pologne et qui a failli lui coûter la vie, je commençais à en avoir ma claque. Je comprends que c’est un ressort dramatique important dans l’histoire et sans doute plus spectaculaire que les gaffes enfantines de Jasper « disaster » Philipsen. Mais après les enfilades d’empilades des premiers épisodes, j’avais un peu l’impression de me faire remontrer la voiture en flammes de Romain Grosjean dans Drive to Survive.
Il y a une partie de moi qui est contente qu’un nouveau public découvre le niveau de tension et de danger du cyclisme pro. Et il y a l’autre qui en a un peu assez de cette pornographie de la violence des accidents qui subissent trop souvent les coureurs et coureuses. L’histoire de Jakobsen qui fait la coupure de l’étape de montagne à quelques secondes près et qui peut disputer le sprint à Paris, c’est exactement le genre de récit que tout le monde aime. Mais l’extrait « face à la mort » resservi à nouveau, c’était peut-être pas nécessaire.
Si t’es pas dans le show, t’existe pas
Malheureusement, il y a beaucoup de bonnes histoires de ce Tour qui sont passées sous silence. Si vous n’étiez pas parmi les équipes ayant donné l’accès à l’équipe de production, vous n’existiez pas vraiment. Ainsi, la victoire de Simon Clarke -sans contrat quelques mois plus tôt- est totalement évacuée. Pire encore, le triomphe de Hugo Houle et le poignant récit qui l’accompagne sous forme de conclusion cathartique au décès de son frère n’est pas même mentionné. Dommage.
Les gars de Groupama-FDJ connaissent les paroles de L’Amérique pleure
Toutes les fois où l’on voit apparaitre Antoine Duchesne dans l’autobus de la FDJ, il a le sourire fendu jusqu’aux oreilles. Il déconne. Il rigole. Mais le meilleur moment, c’est sans doute quand toute l’équipe chante L’Amérique pleure avec lui dans l’autobus. Une surprise qui m’a fait sourire à mon tour. Sans doute que vous aussi. Les Cowboys Fringants étaient là pour soulager, un peu, l’équipe française, du poids qu’elle porte afin de remporter un premier Tour avec un français depuis 1985.