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Entraînement

Quand la culture du risque fait mal

24-07-2023

© Nathanael Desmeules – Unsplash

Lorsque je parle de ma passion du vélo de montagne à des personnes qui n’ont jamais eu la chance de rouler en sentiers, leur réaction est généralement du genre : « Je ne ferai jamais ça, c’est beaucoup trop dangereux. » Ouch ! Notre sport préféré a une drôle de réputation.

Pour des centaines de cyclistes qui repartent chaque jour rechargés d’énergie après avoir passé un bon moment en forêt, ce sont les cas de blessures graves ou mortelles qui font tristement les manchettes.

Cette nouvelle réalité a secoué le monde du vélo de montagne, et tous les acteurs doivent désormais tricoter avec des coûts d’assurances ahurissants.

Personne n’y échappe : les cyclistes, les associations, les centres, les clubs, les écoles de vélo.

C’est malheureusement le prix à payer pour réparer les pots cassés après la tempête parfaite de 2020 : la fermeture des frontières a fait exploser le nombre de cyclistes dans les sentiers, mettant au jour un paquet de lacunes dans un sport somme toute très jeune et, jusque-là, plutôt marginal.

 est le plaisir ?

« Plus de monde, plus de blessures. » Cette phrase, je l’entends souvent. Certes, c’est vrai, mais il y a beaucoup plus que ça.

Pour justifier des comportements de plus en plus téméraires, on murmure à travers les branches que c’est en tombant qu’on apprend. Pourquoi pas un petit concours d’acrobaties à diffuser sur Instagram avec ça ? Puis il y a cet influenceur qui tient à préciser qu’il n’y a rien de plus populaire sur son profil qu’une photo qui saigne en masse. D’autres cherchent même une certaine approbation des pairs en exposant leurs blessures dégoulinantes, comme un gage de courage et de virilité. Vraiment ? Sommes-nous vraiment rendus là ?

Rien ne m’irrite davantage que d’entendre un cycliste dire: «C’est normal de se blesser en vélo de montagne.» Lisez bien que je ne nie pas le potentiel de risque de la pratique, mais on ne fait pas du vélo de montagne pour se blesser comme on ne prend pas un cocktail pour se saouler. Ce sont des risques inhérents qu’on peut limiter. Si on peut boire sans l’échapper, on peut prendre des risques sans se casser la margoulette. À condition de respecter certaines limites, les siennes d’abord.

« Personne ne va te donner une médaille si tu réussis à franchir un obstacle. Par contre, si tu le manques, il se pourrait que tu ne sois plus capable de t’occuper de tes enfants», met en garde Joée Labranche, qui a subi un grave accident à Whistler en 2021. Après une longue convalescence, elle a renoué avec sa passion, autrement. « Je ne pensais jamais me faire aussi mal à vélo. Ça m’a appris qu’il faut savoir s’écouter, s’arrêter quand c’est le temps. Je ne roule plus sur de nouveaux sentiers et je ne franchis plus d’obstacles à l’aveugle. Oui, j’aime ça, le vélo, mais pas assez pour finir en fauteuil roulant», dit Joée en toute connaissance de cause.

Elle accepte de raconter son histoire afin de conscientiser les cyclistes à être moins insouciants et à prendre davantage conscience de leurs limites pour mieux les respecter.

Entre culture et réalité

Je sais bien que les histoires ordinaires ne deviennent pas virales sur Facebook. L’exceptionnel nous intéresse ; on aime voir des exploits, ressentir des émotions fortes. C’est pourquoi on aime autant regarder et parfois publier des contenus qui font réagir. La course aux likes est encore bien réelle et suscite l’intérêt. Cela a des conséquences concrètes sur la perception du sport.

Sur le plan individuel, on voit des cyclistes en crise de confiance : blessures, traumatismes psychiques, blocages, stress de performance causé par des attentes, des ambitions ou des comparaisons irréalistes.

Sur le plan social, on sent le jugement de la population générale et la frilosité des assureurs, qui tendent à considérer toutes les formes de pratique cycliste comme étant extrêmes.

Sur le plan culturel, on nourrit un discours dans lequel :

• on juge l’accessibilité : « Plus les vélos grossissent, plus les sentiers ressemblent à des boulevards, de larges sentiers travaillés à la machine, exempts de roches et de racines » ou « Rouler en vélo électrique, c’est de la triche. »

• on discrédite les étapes de progression : « Devenir expert en un été» ou «Facile, cet obstacle ! Lâche les freins et suis-moi ! »

• on glorifie la prise de risque: «Sors de ta zone de confort!»

• on publicise le sport par des valeurs essentiellement masculines qui entretiennent l’élitisme du boys’ club. Se limiter à montrer que notre sport est un club d’élus, un passe-temps de crinqués, une histoire de testostérone, une activité dangereuse, c’est se mettre collectivement des bâtons dans les roues.

La réalité est que le sport offre des types de pratique variés, se démocratise et s’organise de plus en plus chaque année. On devrait s’en réjouir, célébrer et, surtout, faire la promotion de cette diversité.

Le vélo de montagne, comme tout dans la vie, s’apprend par étapes, avec l’expérience et le temps. Un enfant ne saute pas dans les flaques d’eau avant d’avoir appris à marcher. Même si un autre enfant le fait. Même si ça a l’air facile. Même si ça a l’air le fun.

Prendre conscience de son propre comportement, avec lucidité, c’est déjà participer à un changement de mentalité. Chacun de nous a un rôle à jouer, individuellement, socialement et culturellement, dans la mise en valeur de la diversité, du plaisir et d’une saine pratique.

© Entre roches et racines


Valoriser une pratique en pleine conscience

Au cours de vos prochaines sorties, je vous invite à prendre deux petites minutes pour observer vos propres habitudes, autant dans la réalité que sur les réseaux sociaux. Sur une échelle de 1 à 10, dans quelle mesure êtes-vous porté :

• à profiter du moment présent ?

• à vous féliciter de votre contrôle plutôt que de votre bravoure ?

• à vous écouter et à vous respecter ?

• à fixer vos limites et à vous sentir pleinement en confiance ?

• à saluer vos progrès et ceux des autres ?

• à porter un jugement juste et un regard lucide sur vous-même ?

• à garder l’esprit ouvert ?

• à partager les moments simples d’une belle randonnée plutôt que les moments de prise de risque ?

Plus vos réponses se rapprochent de 10, plus vous roulez en pleine conscience !

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