Chaque fois que l’on projette de réduire l’espace dédié à la voiture sur nos routes, on entend presque toujours les mêmes voix pester contre une prétendue guerre à l’auto qui serait essentiellement idéologique. L’idée étant qu’on tente de forcer la main des automobilistes pour les obliger à utiliser du transport alternatif. Pour l’environnement, tsé.
Mais serait-il possible que, dans les faits, ce soit l’auto qui fasse la guerre à l’auto?
Je pose la question pour la forme. Les chiffres de la métropole parlent d’eux-mêmes. Entre 2018 et 2022, selon les statistiques obtenues par 24 heures, la ville de Montréal a retiré entre 1,1% et 1,2% des places de stationnement disponibles. Il y a, dans la municipalité, environ un demi-million d’espaces publics pour garer sa voiture.
Plusieurs des espaces retirés ne le sont d’ailleurs pas au profit de pistes cyclables, comme on le propose souvent, mais afin de réaménager l’espace urbain pour garantir la sécurité de ses usagers les plus vulnérables : les piétons.
Le média 24 heures indique aussi ce que nous savons déjà : le principal problème avec le trafic et le stationnement, c’est l’augmentation stratosphérique du parc automobile. Même Pierre Fitzgibbon, que l’on n’a pas souvent vu manifester en faveur de quelque décroissance que ce soit, a récemment affirmé que nous n’avions pas d’autre choix que d’envisager une réduction du nombre de véhicules en circulation.
Pour des motifs environnementaux. Mais peut-être aussi pour que les villes puissent redevenir vivables.
Donc, le problème, avec le trafic, ce n’est pas qu’on retire une voie ici et là, pour du transport en commun, ou que l’on enlève quelques places de stationnement. L’ennui, c’est que dans la métropole seulement, on comptait un peu plus de 800 000 véhicules immatriculés pour des particuliers en 2020. Soit 50 000 de plus qu’en 2015.
Selon une étude de HEC Montréal, non seulement le parc auto croît plus rapidement que la population (+10,9% contre +6,1%), mais les voitures augmentent aussi en taille et en poids. Leur masse moyenne a augmenté de 5,6% entre 2013 et 2020, en bonne partie grâce à la popularité croissante des VUS et des camionnettes. Entre 2000 et 2020, cette augmentation de la masse moyenne des « autos » serait de 18%.
Chaque auto prend donc plus d’espace. Sur la route. Mais aussi dans les espaces de stationnement.
Ceci explique aussi cela : les angles morts et la position en hauteur dans plusieurs de ces véhicules les rendent plus dangereux pour les autres usagers de la route. Ce qui nécessite qu’on réaménage les intersections. Par exemple, en ajoutant des saillies de trottoir qui coupent des espaces de stationnement.
Chaque véhicule sur la route pèse 524 livres de plus qu’il y a 20 ans. Leur nombre explose. Les routes s’effondrent sous le poids du trafic, ce qui provoque des travaux à n’en plus finir, ce qui augmente le nombre de bouchons et rend les villes invivables.
Ce n’est plus le propre de Montréal : Québec est aussi devenue un vaste et ahurissant chantier routier.
La voiture électrique n’y changera rien. Si on ne modifie rien à nos manières de nous déplacer, c’est l’état des routes qui va continuer d’empirer, le bilan routier de s’aggraver, le vivre-ensemble de se détériorer et nos nerfs de s’étioler à force de vivre dans la guérilla urbaine.
Donc si on s’accroche à l’auto-solo pendant qu’on propose des solutions de rechange, au vu de toutes ces données qui nous montrent que cela mène au cul-de-sac, qui défend une position essentiellement idéologique?