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Le blogue de David Desjardins

Fièvre (de savoir) olympique

06-08-2024

Photo: page Facebook de l’équipe EF Oatly Cannondale.

Entre le désir de plaire aux connaisseurs et l’énervement du moment, il se perdait parfois un peu d’information dans la course cycliste olympique. Je ne condamne pas les analystes ni les commentateurs. Audrey et Sébastien faisaient un très bon boulot et je ne m’en tirerais certainement pas mieux à leur place.

Mais à la fin de la course des femmes, je me suis retrouvé à devoir expliquer à ma fiancée, qui a pourtant subi son lot de courses cyclistes, pourquoi les Vos, Kopecky et Vas (ça se prononce Vach) avaient laissé filer l’Américaine Kristen Faulkner vers la victoire. « Pourquoi elles ne font rien et qu’elles n’avancent plus ».

Oh, mais elles font quelque chose. Elles rusent! C’est une tactique (que j’explique plus bas ici).

Les Olympiques constituent un moment de l’actualité sportive que j’adore. Soudainement, des gens qui ne s’intéressent pas à un sport tentent d’en saisir un peu plus que les contours. (C’est aussi mon cas : par exemple, j’ai fait des recherches pour comprendre pourquoi la piscine de Paris est moins rapide – en raison d’une déclaration d’un analyste qui manquait d’explications-)

Dans mon désir de démocratisation de mon sport favori, je me fais un plaisir de prêter mon savoir, humblement, car bien incomplet. Voici donc quelques bribes de connaissances à partager avec vos proches. Notez que c’est clairement plus facile à faire assis devant mon bureau, 48 heures plus tard, avec la possibilité de chercher des trucs en ligne, de me relire, etc. Donc encore une fois, ce n’est pas une critique du travail des commentateurs. Seulement un peu de contenu explicatif.

C’est un sport de stratégie

On a déjà dit que, le cyclisme, c’est comme jouer aux échecs à 180 battements par minute. Je ne suis pas certain que ce soit aussi complexe et qu’il faille l’intellect de Kasparov pour faire échec (lol) à Mathieu van der Poel comme l’ont fait les Belges dans les étroites rues de Paris.

Mais il y a des plans plus larges qui se décomposent en trucs, ruses et tactiques.

Attendre la toute fin d’une attaque -ÉNORME!!- par MvdP, superbement couverte par le Belge Wout van Aert, puis que d’autres ramènent le peloton vers les échappés pour qu’ensuite Remco s’évade à son tout, quand tout le monde était cuit, c’était splendide. Ça aurait pu échouer. Mais compte tenu de la capacité de Remco Evenepoel à rester dans le dur en solo (il venait de remporter le contre-la-montre, après tout), c’était un très bon plan. Qui a fonctionné.

C’est une joute mentale

Quand Kristen Faulkner met les gaz à quelques centaines de mètres de l’arrivée, pourquoi ses adversaires n’attaquent pas et la laissent filer?

C’est sûr qu’il faut connaître le pedigree de chacune des coureuses pour bien saisir ce qui se trame. Vas et Faulkner sont défavorisées au sprint devant Vos et Kopecky, deux excellentes marchandes de puissance. Jusqu’à récemment, Kopecky aurait amené Vos au sprint et l’aurait quand même battue, mais elle n’a plus la même pointe de vitesse. (Vos l’a battue de cette manière récemment).

Vas, elle, était sans doute épuisée et incapable (on l’a finalement vu) de battre les deux autres dans un concours de puissance à court terme. Son seul espoir: que les deux autres s’épuisent dans la chasse et qu’elle prenne leurs roues pour tenter sa chance à la fin.

Quand Faulkner part, donc, ni Vos, ni Vas, ni Kopecky ne veulent dépenser d’énergie à être la première à manger du vent pour rattraper la fugueuse. Les précieuses secondes qu’elles laissent s’écouler à tenter de convaincre silencieusement leurs adversaires de faire le sale boulot à leur place aurait pu fonctionner. L’une d’elle aurait pu s’impatienter et y aller. Mais cette fois, personne n’a été dupe et cela a coûté la victoire aux trois.

Saisir les opportunités

Kristen Faulkner sait très bien qu’elle n’a pas vraiment de chance de victoire au sprint final. Elle se doute aussi de l’état de forme de ses adversaires : si elle souffre, les autres aussi. Quand elle part, elle tente le tout pour le tout et, dans la plupart des cas, ce coup-là n’aurait pas tenu. Elle comptait sur la joute mentale à laquelle allaient s’adonner ses adversaires et elle en a profité. C’était brillant. Mais encore fallait-il avoir les jambes pour tenir.

User l’adversaire (et manger toute son assiette)

Quand le Belge Remco Evenepoel décide de se débarrasser de son acolyte d’échappée, le Français Valentin Madouas, il le fait avec cette manière que peuvent se permettent les grands champions ou les cyclistes qui connaissent une journée exceptionnelle.

On voit bien que le Français peine depuis un moment. Physiquement, les signes sont là et chaque montée commence à ressembler à un concours de grimaces. Remco, lui, ouvre à peine la bouche pour respirer. Mais il observe son adversaire et l’use. Encore. Et encore. Il augmente le rythme.

Plutôt qu’une attaque franche, Evenepoel part presque « en facteur », comme on dit des attaques subtiles, lentes. Il fait un petit écart, l’élargit plus encore. Il voit alors que Madouas ne pourra pas répondre. Mais il attend. Il ne trahit pas ses intentions tout de suite.

Il y a un dicton qui veut que, pour gagner à vélo, on doive finir l’assiette de son opposant avant de s’attaquer à la sienne. C’est exactement ce qu’a fait le Belge. Il l’a usé à la corde avec un rythme d’enfer et quand il en a fini avec lui et qu’il a eu la certitude d’avoir « terminé son assiette », il a entamé la sienne : une belle échappée en solitaire.

Dès qu’il a été hors de la vue de Madouas, Remco a mis les gaz au fond et pris les virages à pleine vitesse, creusant l’écart de manière spectaculaire en quelques secondes. Il a ainsi cassé psychologiquement un adversaire qui était déjà physiquement en difficulté.

La tromperie est une tactique

Je parlais d’un départ en facteur. Ce n’est pas tout à fait une tromperie, mais un peu quand même. On feint de simplement aller un peu plus vite. Puis une fois à l’abri des regards, on attaque en sauvage. J’adore ça.

Le cyclisme est plein de ces petits jeux. On peut aussi, par exemple, faire semblant d’être cuit pour ne pas prendre de relais, ou de rester moins longtemps à l’avant (c’est en partie grâce à cette tactique que Victor Campenarts a remporté sa première étape sur le Tour de France cette année).

Ensuite, il y a toutes les astuces liées au fait qu’on a un coureur favori de son équipe à l’arrière (alors on ne prend pas de relais dans l’échappée), un coureur dans l’échappée (on ne chasse pas avec le reste du peloton), ou on peut simplement décider de ne pas collaborer, quitte à faire enrager les autres.

Ça fait partie du jeu. (Même chez les amateurs, ça fonctionne : j’ai déjà convaincu un coureur de rester devant moi en lui hurlant dessus de continuer parce que le peloton allait nous rattraper, laissant entendre que je n’avais plus de jus… pour ensuite le battre au sprint final. Il n’avait qu’à ne pas m’écouter. Mais nous aurions perdu tous les deux, probablement.)

Faulkner semblait aussi laisser croire à Lotte Kopecky qu’elle commençait à manquer de carburant avant de rejoindre les autres fuyardes à l’avant.

Quoi qu’il en soit, ces petites manipulations psychologiques sont essentielles à maîtriser. Ne serait-ce que pour ne pas se faire avoir. Elles font aussi la complexité et la beauté de ce sport où la victoire se joue avec la tête et les jambes.

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