Quand j’ai découvert Rapha, je suis instantanément tombé amoureux de la marque.
J’ignorais alors l’impact qu’elle aurait sur le marché du vêtement cycliste, alors que celui-ci occupe désormais une place de choix et peut compter sur plus d’une demi-douzaine de marques « premium » pour alimenter les victimes consentantes de la mode.
Je dirais même que les vêtements eux-mêmes ne m’intéressaient pas tant que tout ce qui les entourait.
Les films, les slogans sportifs tirés de locutions latines, les références à l’histoire du sport, mais plus encore à son âge d’or, à ses légendes, et surtout j’aimais la célébration de la souffrance au cœur de tout ce braquage qu’opérait le tailleur anglais sur le monde du vélo.
Un braquage, oui, parce que le marketing de Rapha a littéralement pris en otage le marché qu’il intégrait.
Soudainement, plusieurs grandes marques tombaient en désuétude. Les couleurs criardes et les coupes peu seyantes passaient à la trappe.
Chez Rapha, l’iconographie d’après-guerre et des sixties d’une Europe qui communiait en même temps aux autels du capitalisme (donc de la mise en marché des marques) et du sport cycliste reprenaient vie à travers tous les points de communication de la marque.
Une modernité qui puisait aux racines du sport et parlait à une multitude de nouveaux adeptes.
On pouvait acheter des carnets d’entraînement, des musettes, des casquettes, de même qu’une panoplie d’objets promotionnels (tasses, t-shirts, etc). Le logo, inspiré par St Raphaël, commanditaire de l’une des très grandes équipes pros de l’histoire, était synonyme de classe, de panache, de toutes les valeurs d’une sport qui voyait sa tradition célébrée de manière grandiose.
Il s’agissait d’un symbole de ralliement pour les amateurs d’histoire, de mode, et encore une fois, de souffrance sur le vélo.
Per ardua ad gloriam
Sans doute cela me parlait-il, comme à d’autres, parce qu’on peut en partie mesurer la gravité de l’effort des grands champions lorsqu’on pédale soi-même. Ou encore, plus réalistement (parce que bon, les pros roulent à une vitesse ahurissante et dans des états qui défient l’entendement), on s’est tous et toutes retrouvés dans des situations de misère sur le vélo. Soit en raison d’une météo détestable, d’une grande fatigue ou d’une fringale paralysante. Et chaque fois, il faut continuer, aller jusqu’au bout, au-delà de ce que l’on croyait possible de faire ce jour-là.
Ce plaisir de type 2 est celui dont est constitué notre petite légende personnelle.
La fois où nous avons fait huit crevaisons sous la pluie, la fois où il s’est mis à neiger dans un col, la fois où votre amie était tellement bonkée qu’elle parlait en lettres attachées…
Nous n’avons pas remporté Liège-Bastogne-Liège dans la neige ou défait nos adversaires lors d’une étape du Tour se terminant au sommet d’un Ventoux en proie à la tempête. Mais nous avons toutes et tous nos petites histoires du genre et c’est exactement ce que faisait résonner les mantras doloristes de la marque.
Rapha a lancé un mouvement, et souffre peut-être, désormais, d’une légère crise d’identité. Dans son sillage sont nées des compagnies qui font parfois preuve de plus d’imagination ou d’audace. Les collections de base ne sont pas toujours d’une qualité époustouflante non plus. L’entreprise est passées aux mains d’autres intérêts. Elle perd de l’argent continuellement depuis des années et son marketing est un peu moins intéressant qu’autrefois, c’est vrai.
Mais il faut rendre à César ce qui lui revient.
Tout ce travail de fond pour créer le nom, l’imaginaire, la petite bande blanche sur le bicep, les films, les pubs, les textes captivants… tout cela a profondément changé le monde du cyclisme.
Certains y ont répondu en injectant de l’humour et du sarcasme dans tout cet univers d’âpreté, de rigueur et de solennité. D’autres ont pris le train et ont ajouté leur touche à cet esprit d’aventure. En résulte un marché vivant, actif, et surtout diversifié, où l’amateur peut désormais choisir entre plusieurs tailleurs s’il souhaite investir dans son apparence.
Plus encore, le milieu a compris qu’il devait inspirer, donner envie de sortir rouler même par temps horrible. Il ne s’agit plus de vendre un produit, mais une idée du sport, un accomplissement, du dépassement de soi.