Prise entre la dictature de la Corée du Nord et les géants que sont la Chine et le Japon, la Corée du Sud ne trône pas au sommet des lieux touristiques les plus populaires. Et pourtant, elle le devrait! D’immenses pistes cyclables, de vastes vallées colorées, des villes vibrantes et une population accueillante: portrait d’un territoire qui a tout pour plaire aux cyclistes.
La majorité des pays que je traverse dans ce tour du monde sur deux roues me sont méconnus avant que j’y pose les roues. Ils se trouvent sur ma route vers l’est, et je n’ai pas autant de temps que je désirerais consacrer à m’informer sur leurs attraits ou leur culture. C’est donc sans attentes que je débarque à Incheon, au nord-ouest de la Corée du Sud, d’un traversier en provenance de la Chine.
Pistes cyclables
C’est surtout le magnifique réseau de pistes cyclables qui place la Corée du Sud dans une classe à part. De la capitale à la ville de Busan, située au sud-est, quatre sentiers asphaltés sont liés pour constituer les 633 km de la piste cyclable des Quatre Rivières. Comme le révèle son nom, la piste passe d’une rivière à l’autre, montant progressivement dans les terres jusqu’à une altitude de quelque 1000m pour ensuite redescendre vers la côte opposée. Tout le long de cette route se dressent de vieilles cabines téléphoniques rouges au look britannique dans lesquelles on peut faire estampiller un passeport spécial. Celui-ci, une fois orné de l’encre de toutes les stations, donnera droit à une médaille!Constat immédiat: c’est tranquille! Cette absence de klaxons me fait le plus grand bien après l’intense cacophonie chinoise. Et pourtant, l’agglomération séoulienne de 24 millions d’habitants est la cinquième plus importante du monde, derrière Tokyo, Jakarta, Dehli et Shanghai. La moitié des Sud-Coréens vivent ici. Quittant le port mais demeurant en zone urbaine, je rejoins rapidement la capitale, Séoul, située à seulement une quarantaine de kilomètres à l’est.
Distinction métallique ou pas, les nombreux cyclistes locaux et moi-même nous estimons bien chanceux de circuler sur ce réseau achevé en 2012. Le chemin est clairement indiqué, quoique très majoritairement uniquement en coréen. Et la présente peinture de couleur brique au sol donne l’impression qu’on a déroulé le tapis rouge aux cyclistes. On y croise encore peu de touristes étrangers, mais les Sud-Coréens ne boudent pas leur plaisir et s’élancent sur leurs montures de carbone autour des villes. Les campagnes en laissent voir encore davantage. L’exploration de cette partie de la péninsule par cette piste est un impératif pour tout cycliste au pays de Samsung.
Je plante quotidiennement ma tente sans difficulté en bordure de la piste, toutefois les gens du coin préfèrent généralement les nombreux hôtels abordables des villages traversés. Dans tous les cas, leur peau est aussi le plus souvent recouverte des pieds à la tête, soit des collants à jambes à la cagoule en passant par les gants. Le mercure a beau alors dépasser légèrement la vingtaine de degrés, la blancheur, signe de beauté, se doit d’être protégée.
Réunification
La langue anglaise n’est pas si répandue en Corée du Sud, et les habitants sont plutôt réservés. N’empêche, j’ai la chance d’en rencontrer plusieurs qui expriment avec une grande sincérité leurs pensées sur l’avenir de leur pays. Tous sans exception sont d’avis qu’ils verront de leur vivant les deux Corées réunies pour ne former qu’un seul État. Même les plus âgés de mes interlocuteurs.
Le cas de la réunification réussie de l’Allemagne est cité par les plus optimistes, cependant l’écart socioéconomique des deux Corées est plus prononcé encore. Virtuellement aucun échange ne s’est produit entre les deux États depuis 65 ans. À tel point que deux dialectes différents du coréen sont maintenant parlés de part et d’autre de la zone démilitarisée séparant la péninsule en deux
Selon Valérie Boissonneault, directrice du Bureau du Québec à Séoul, «la réunification directe aurait un impact trop important sur la Corée du Sud». Elle croit que la première étape sera une ouverture des frontières, permettant à nouveau un mouvement des populations et des échanges économiques.
C’est l’espoir davantage que les faits qui inspire la réponse des Sud-Coréens. Hanggyun Choi, avec qui je fais connaissance sur la piste à l’approche de Busan, m’affirme que tous les Coréens ne forment qu’une seule famille. L’homme de 47 ans est lui-même né à Busan, au sud, mais ses deux parents ont séparément fui la Corée du Nord. Hanggyun compte ainsi des oncles et des tantes – et probablement des cousins – au nord du 38e parallèle. Il n’a malheureusement aucune façon de savoir s’ils sont toujours en vie.
Je me mouille
Après que j’aie passé quelques journées à traverser béatement la moitié nord du pays, voilà qu’un matin, quelques gouttes de pluie se transforment promptement en un véritable déluge. Je m’enfonce à l’intérieur d’un typhon qui sévira durant deux jours et mettra à mal mon vieil imperméable. Même l’abondance des piments incorporés dans l’omniprésent kimchi, plat traditionnel fait de légumes fermentés, n’arrive pas à me réchauffer. Sous mon manteau, je me couvre d’un sac à ordures en vue de tenter vainement de rester au sec et de garder ma chaleur.
À la suite de la tempête, la piste cyclable et les rivières gonflées ne forment plus qu’un. À certains endroits, près de deux mètres d’eau coulent par-dessus la chaussée. Qu’à cela ne tienne, j’emprunte de longs détours par les montagnes avoisinantes. Cela me laisse apprécier une topographie et une vue différentes.
Ma traversée sud-coréenne prend fin à Busan, deuxième ville du pays et joli mélange entre San Francisco, le Vieux-Québec et Rio de Janeiro. Les maisons sont peintes de couleurs vives, la cité est pentue, et l’art urbain partout présent sur les murs sous forme de fresques éclatantes.
Ma traversée sud-coréenne prend fin à Busan, deuxième ville du pays et joli mélange entre San Francisco, le Vieux-Québec et Rio de Janeiro. Les maisons sont peintes de couleurs vives, la cité est pentue, et l’art urbain partout présent sur les murs sous forme de fresques éclatantes.
Je sors de la Corée du Sud comme j’y suis entré: par traversier. Cette fois en direction du Japon. En attendant le bateau, je discute avec Whang, un gaillard de 34ans qui travaille au port. «D’ici 20 ans, toute la péninsule coréenne ne sera qu’un seul pays», me déclare-t-il lui aussi avec conviction. J’aimerais tellement qu’il ait raison.
Décidément, l’optimisme est fort en Corée du Sud, plus tenace encore que les nombreux arbres déracinés par le typhon. Porté par cet espoir, je me mets à imaginer la joie des NordCoréens lorsqu’ils retrouveront au sud leur famille… et une si belle piste cyclable!
Repères
Hébergement
Plusieurs hôtels à partir de 50 $, quelques campings organisés, et beaucoup de possibilités de camping sauvage.
Distance
Total de 633 km de Séoul à Busan.
Difficulté
Relativement facile, à l’exception de quelques courtes montées bien inclinées.
Altitude
De l’océan à environ 1000 m d’altitude au centre du pays.