Opinion controversée : sans Tadej Pogačar, ce Giro aurait été bien plus ennuyeux.
Oh, certes, peut-être aurions-nous assisté à un véritable combat pour la première place. Mais en quoi aurait-il été très différent de cette course que nous avons eue pour la place de « best of the rest », pour reprendre l’expression de Geraint Thomas (3e au classement général, second podium d’affilée sur la Corsa Rosa)?
On a vu des tas d’histoires de domination tueuses d’envie sur les grands tours dans le passé. Le plus souvent, une équipe s’impose, autant sinon plus encore qu’un coureur. Et elle écrase tout sur son passage. C’était la méthode Sky pendant des années.
On pourra arguer que c’est aussi le cas de la UAE, qui bien qu’elle n’ait convoqué ici que son équipe B, a pourtant porté son leader aux avant-postes dans toutes les circonstances, sans coup férir.
Mais ce serait sans parler du moment, chaque fois qu’il en avait l’occasion, où le Slovène s’envolait en orbite après avoir été tiré aux sommets (enfin, presque) de la troposphère. Le spectacle ne faisait alors que commencer. Et comme Pogi l’a bien compris : s’il allait ainsi dominer, il devrait aussi divertir. Ce qu’il n’a pas manqué de faire. Il y a des histoires de domination qui sont plus enthousiasmantes que d’autres.
En arrière-plan, la bataille pour le podium n’était pas moins intéressante. Ni celles pour les victoires d’étapes.
Je pense à la renaissance de Julian Alaphilippe qui a remporté une belle victoire et participé plus d’échappées que je ne peux me rappeler. À la dernière semaine stellaire du jeune Allemand Georg Steinhauser, dont j’ignorais jusque-là l’existence. Au superbe duel entre les Français Valentin Paret-Peintre et Romain Bardet. À l’échappée crève-cœur de Giulio Pellizzari… Et je ne parle même pas des épreuves de sprint où la chaos d’opérations pirates et de trains déraillés ont considérablement bonifié des étapes autrement soporifiques.
Même à la toute fin, après avoir rompu sa chaîne, le gagnant du maillot mauve des point, l’Italien Jonathan Milan, a donné tout un spectacle en revenant pour presque l’emporter (battu par Tim Merlier), lui qui avait déjà 3 victoires d’étape en poche.
Et qui était aux devants, jusqu’au dernier kilomètre, afin d’amener le sprinter de UAE? Pogi, qui aurait pu se la couler douce en sécurité dans le peloton, mais qui avait encore un morceau de spectacle à offrir.
Quel était l’intérêt pour le classement général: l’impression d’assister à l’écriture d’une légende. On n’a plus vraiment besoin d’ajouter quelque réserve pour comparer Pogi à Merckx. En termes de cannibalisme, de razzia, de tentative de toujours tout gagner, je ne me souviens pas d’avoir vu pareil spectacles. Sauf dans les archives. Même Voldemort n’était pas aussi sauvage. Et certainement pas aussi sympa.
Pogačar a quelque chose du héros de BD. Un peu Tintin. Un peu Naruto. Prodigieux. Astucieux. Drôle. Et impitoyable. C’est vraiment un spectacle ahurissant et fascinant.
Bref, c’était pas un mauvais Giro. Prévisible? En bonne partie. Mais rempli de moments de grâce et de faits d’armes légendaires.