C’était dimanche. Je me suis levé dans un état de fébrilité rare. J’étais chez moi. Dans mon lit. Et pourtant j’avais le sentiment d’être en voyage de vélo. Que quelque chose de merveilleux et d’inédit m’attendait.
C’était un peu le cas.
Mathieu Bélanger-Barrette et quelques amis, dont la gang de Vélo Cartel, avaient organisé l’événement qui me faisait intérieurement vibrer en ce superbe matin de la fin mai : la bien nommée « Ride du déconfinement ». Environ 150km à partir de Québec, direction la Rive-Sud, sur un parcours nous menant jusqu’à Laurier Station en prenant de nombreux détours par les superbes chemins de garnotte du coin.
On téléchargeait le parcours depuis Strava dans nos petits ordis de bord. Et hop, on partait. Chacun à l’heure souhaitée, préférablement en groupe de deux. Les secteurs non bitumés avaient été convertis en segments chronométrés. Histoire de se la mesurer, après coup. (Insérez un LOL ici)
L’inspiration, me dit Mathieu, c’est un peu les gentlemen rides qu’organisaient Rapha et aussi la gang de Pas Normal Studio à Copenhague.
Le soleil était haut. Le temps chaud, mais pas trop non plus. Les nuages en congé, comme, pour un dernier dimanche, les caissières et les commis d’épicerie.
Et la nature explosait de chaque côté de nous, tandis que nous faisions lever la poussière sur ces routes qui traversent des terres dont les arpents auraient été trop nombreux pour que puisse les subir un vieux dans le Bas-du-Fleuve (amateurs de chansonniers, bonjour!)
Strade Bianche dans Lotbinière. Paris-Roubaix rebaptisé Ste-Croix-St-Gilles. Des amis en train de réparer des crevaisons sur le bord de la route. D’autres rencontrés au dépanneur, le temps d’inhaler un sandwich fait par ordinateur. Des bouts à bloc, d’autres en jasant. Le fleuve, bleu royal dans le lointain. Je trippais raide.
En fait, j’ai eu autant de plaisir et de bonheur à faire cette sortie que si j’avais été dans la campagne catalane. Et histoire de pimenter l’expérience : nous avons punché à l’envie dans les secteurs chronométrés et même sur l’asphalte, histoire de récréer l’urgence des événements de groupe qui n’auront pas lieu cette année.
C’est devenu le leitmotiv de ma saison. C’est le sujet de ma prochaine chronique dans Vélo Mag :
Puisqu’il faut rester chez soi, j’ai entrepris de découvrir l’inconnu au coin de la rue. Et de changer mes habitudes.
Je roule moins souvent, mais plus longtemps, plus loin. À Pont-Rouge, la semaine dernière, j’ai demandé mon chemin plutôt que de consulter mon téléphone, avec pour résultat qu’on m’a conseillé de prendre un rang que je ne connaissais pas, et qui m’a ramené dans le parcours du défunt Grand Prix local.
Je prends tous les détours. Je ne roule plus avec l’urgence de rentrer au plus vite. Je cherche la liberté dans le confinement, dans la contrainte.
Des fois, la vraie vie est ailleurs. Mais on peut aussi s’arranger pour qu’elle soit ici. Suffit de changer de point de vue, et voilà l’ordinaire converti en moment de pure magie.
Comme lorsque, sur une route de garnotte asséchée, retombe la nuée de poussière après qu’on lui ait demandé : mais que caches-tu. Et voilà des arbres, un champ, le fleuve. Des amis au loin, trainant aussi leur nuage jaune. Le seul en vue, ce jour-là. Ceux du ciel avaient pris congé, mais je vous l’ai déjà dit.