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Le blogue de David Desjardins

Et moi, et moi, et moi.

06-05-2015

Je l’avoue, je me suis pas mal excité le poil des jambes en regardant le reportage de Stade 2 sur les amateurs qu’on dope et dont les performances explosent tout en demeurant à l’intérieur des paramètres indétectables par les agences antidopage.

On savait que ça existait. Le microdosage d’EPO n’est pas une nouvelle. Qu’on parvienne à tromper le passeport biologique non plus.

Si vous permettez, on ouvre une parenthèse afin d’offrir un petit rattrapage à ceux qui ignoreraient certains détails cruciaux du dopage en cyclisme :

1. Le microdosage, c’est l’injection de très petites quantités d’EPO, intraveineuses plutôt que sous-cutanées, qui rendent la période de détection beaucoup plus courte.
2. Le passeport biologique est un outil utilisé par les autorités en matière d’antidopage afin de faire le profil à long terme d’un coureur et d’évaluer des valeurs sanguines ou endocrinologiques inhabituelles. Ainsi, un coureur qui sort d’un grand tour avec un taux d’hémoglobine très élevé, voire plus élevé que sa normale hors saison, sera considéré comme suspect, et probablement sanctionné, même si on ne détecte pas de produit dopant dans son sang. Ceci dit, c’est encore assez compliqué de sanctionner quelqu’un sans preuve formelle : un échantillon de sang positif.

Fin de la parenthèse.

Donc, pour plusieurs raisons, ce reportage n’aurait pas du m’énerver. Comme le rapporte très bien The Inner Ring: nil novi sub sole. On savait déjà tout ça. Et en plus, ce n’est pas le reportage le plus rigoureux, ni l’exercice scientifique le plus méthodique.

Alors pourquoi sommes-nous si nombreux à avoir lancé les bras en l’air?

D’abord : parce qu’on ne l’avait jamais vu. Parce que lorsque ça se produit, nous ne sommes pas là pour assister aux changements, pour constater à quel point ils sont importants et ce qu’ils signifient pour ceux qui les subissent. Tout cela est toujours très secret.

Pour un athlète habitué à se fier à ses sensations, se sentir soudainement invincible -grâce à l'EPO- est étrange, particulier, vertigineux. On a compris. Mais le même discours venant d’athlètes amateurs, le commun des mortels comme moi détecte une parenté qui lui permet de mieux prendre la mesure de cet impact sur les performances.

Encore là, ce n’est pas très rigoureux. En fait, l’inverse, c’est totalement émotif. Mais c’est aussi une question de mettre les choses à son propre niveau pour les comprendre.

Faisons une comparaison un peu boiteuse, mais qui illustre ce que je veux dire :

Quand une compagnie parvient à éluder à l’impôt de plusieurs millions par des stratagèmes douteux qui lui permettent de tricher sans se faire prendre, nous sommes si loin de ma réalité que je suis scandalisé, certes… mais le délit possède un caractère irréel en raison de ses proportions quasi-homériques pour le petit contribuable que je suis. Je ne comprends pas ses rouage et me sens impuissant.

Si, par contre, mon voisin vole l’impôt et se paye des vacances à Tahiti qu’il me raconte dans le détail, des autos de luxe qu’il parade devant chez moi et une piscine, un spa, un aménagement paysager, sans parler d’une nouvelle cuisine… Alors là, je vais m’indigner plus encore en apprenant sa fraude. Parce que je vois un type comme moi, avec mes moyens, et mesure l’ampleur de l’injustice dont je suis la victime.

La comparaison est bancale, je le disais, mais elle illustre bien que nous ignorons ce qu’est la vie des cyclistes professionnels, l’attention constante portée à la nutrition, à la santé, l’entourage de médecins, de coaches, de directeurs sportifs, de gens d’affaires, d’agents. Le contexte de leurs existences sportives nous est étranger. Ces milliers de kilomètres avalés à grosses bouchées, jour après jour. La bouffe rationnée pour perdre encore des kilos. Les médicaments acceptables. Ceux qui ne le sont pas… Ils évoluent dans une autre dimension que la nôtre. Leur récit de dopage est une fantaisie.

Mais là, de voir ces types qui me ressemblent un peu se taper les performances de leur vie après quelques jours d’EPO, ça m’a plus sonné encore que de lire le bouquin de Tyler Hamilton ou les témoignages de tous ceux qui sont sortis du garde-robe par la suite.

Ce que les pros racontaient avait quelque chose de banal. Pas pour rien que « faire le métier » veut parfois aussi dire se doper.

De voir des quidams nous rappeler que les outils de surveillance ne sont pas encore au point, et que des gens ordinaires parviennent à facilement tromper la surveillance (même si c’est parfois très limite, et comme on le disait, que la recherche est loin d'être cachère), tout cela avait quelque chose d’habilement provocateur.

Comme plusieurs, sachant tout ce qu’il y a à savoir sur le dopage, j’ai pourtant laissé tomber la raison pendant un moment. Je voyais comment ça se passe pour la première fois. J’étais troublé, ému, en furie.

Un effet dont les gens de Stade 2 qui ont préparé ce reportage savaient fort bien qu’il allait parfaitement opérer.

Simplement parce que je me suis toujours demandé ce que ça donnerait si MOI je me dopais. Je connais maintenant la réponse.

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