Le printemps s’annonce. Avec lui, la promesse de jours heureux, de paysages à avaler tout rond et d’amitiés qui se recousent dans le mouvement.
Je sais pas pour vous, mais moi, je me peux plus.
À cette période de l’année, je suis à fond dans ma consommation de courses cyclistes. Je bouffe du Paris-Nice au déjeuner et je me gave de Tirreno-Adriatico en faisant du rouleau le soir.
Parce oui, je roule au sous-sol, comme un enragé, même. Parce non, je n’ai toujours pas reçu mon fatbike commandé il y a maintenant presque 14 mois. Parce que l’hiver de ski que nous avons eu a été passablement exaspérant de froideur pour ensuite virer à l’impraticable mouillasse. Parce que je travaille comme un con et que je n’ai pas des heures à perdre à me promener en voiture tous les jours pour aller sur les pistes, anyway. Parce que courir dehors, ça va deux fois par semaine, trois à la limite, ce qui ne me suffit pas. Parce que c’est aussi la seule manière de rendre toute cette consommation de courses cyclistes relativement productive.
Et puis il y a les courses, sur RGT, où je me défonce chaque samedi… Faut bien m’entraîner pour suivre les jeunes.
Je roule avec les écouteurs fichés dans les oreilles. J’écoute les Stone Roses, Chemical Brothers, Nirvana, LCD Soundsystem, Les Louanges ou n’importe quoi dont je connais les paroles pour mieux encaisser la douleur. J’ai parfois le regard perdu dans l’écran allumé devant moi et qui diffuse une connerie, tandis que je rêve de bitume, du son des pneus qui chuintent sur le sol, de l’eau qui frise sans le sillage de ma roue arrière pour me détremper le cul. Je fantasme de gants de néoprène, de couvre-chausses prétendument étanches, de froid qui mord les joues. J’ai hâte de rentrer, détrempé, frigorifié, d’enlever tous mes vêtements alourdis par l’eau, dans l’entrée, et de les déposer dans l’évier pour leur retirer les deux kilos de sable collés aux tissus avant de tout mettre à la laveuse. Puis de sentir la brûlure de l’eau chaude sur mes pieds dans la douche.
Les courses que je regarde me font l’effet d’émissions de cuisine pour un boulimique. J’alimente le manque, la névrose, la dépendance. Je cultive mon obsession. Je nourris la bête qui sort d’hibernation et ne demande qu’à rugir.
L’hiver est une jachère. C’est le moment où le désir croît dans un sol dûment laissé à l’abandon pendant quelques mois. Je fais des plans de voyage. Le monde retrouve un semblant de normalité. Cette année, ce sera les Alpes (j’y reviendrai).
Je m’ennuie de mes amis de vélo. Des sorties à bloc et de celles où l’on parle sans effort. J’ai hâte de faire le plein de kilomètres et de paysages. Quand la blancheur aura retiré du sol son linceul hivernal pour rendre le monde et notre pratique cycliste à la vie.