Pour remporter une étape du Tour de France, Hugo Houle a laissé un peu de lui-même sur la route. C’est exactement ce qu’il souhaitait.
Ça fait deux fois cette année que je me fais divulgâcher une étape par un recherchiste qui m’appelle à propos de Hugo Houle.
Quand je travaille, ou que je vais rouler le matin, je fais l’impasse sur les réseaux sociaux et les infolettres cyclistes, puis j’attends le soir pour regarder. C’est risqué, je sais. Ce qui ne m’empêche pas de me fâcher un peu quand on ébruite le résultat du jour.
Là, par contre, j’étais plutôt content qu’on me vende la mèche pour vivre la chose en direct.
« Hugo est seul en échappé, il reste 2km », m’a écrit le recherchiste de Radio-Canada, qui me sollicitait déjà pour une entrevue le lendemain matin.
J’ai ouvert mon iPad, puis l’application Flobikes, juste à temps pour voir le visage de Hugo défiguré par l’émotion, traversant la ligne d’arrivée seul, en pointant le ciel. Vers son frère décédé presque dix ans plus tôt, comme on le sait. C’était trop brusque et soudain pour que je vive l’émotion avec lui.
Plus tard, le soir, dans le salon du chalet du Mont Sainte-Anne où je réside présentement, j’allais revoir toute son échappée. Je n’en revenais simplement pas. À la fin, même si je savais déjà l’issue, j’avais les yeux dans l’eau.
La tête et les jambes
Hugo Houle vient d’entrer dans la légende du Tour de France. C’est énorme. Sa victoire est l’exemple parfait de la recette, très difficile à réussir, pour obtenir ce genre de victoire sur la plus éprouvante course cycliste de l’année.
Il faut évidemment la forme. Houle l’a obtenue en bataillant ferme. C’est un soldat. Il fait tout ce qu’il doit, il suit les recommandations sportives et alimentaires à la lettre. Cela lui a permis de transformer son corps de coureur de classiques pour devenir un montagnard affûté. C’est un boulot énorme, qui nécessite une discipline spartiate.
Il faut ensuite la tête.
C’est-à-dire l’intelligence de course, la capacité à bien la lire, à saisir les occasions qui se présentent. Pour le faire, évidemment, ça prend les jambes. Dans l’étape où il a terminé troisième, on a bien vu qu’il les avait : quand on laisse une pointure comme Filippo Ganna derrière et qu’on parvient à suivre un ancien champion du monde comme Mads Pedersen (et qu’on l’attaque!!!), posséder un puissant moteur constitue un prérequis. Quelqu’un a déjà dit que le vélo ressemble à un jeu d’échecs qui se pratique avec les pulsations au plafond. C’est assez ça : il faut voir les occasions qui se présentent, malgré l’effort, les saisir, ou pas. C’est selon. Les décisions à prendre son cruciales.
Ici, aidé par Woods et son directeur sortif Steve Bauer, Hugo a saisi l’occasion en or. Une descente. Il s’agissait d’un geste parfait : s’il se faisait reprendre dans le Mur de Péguère, il pourrait accompagner Woods jusqu’au final. Sinon, il pourrait s’évader jusqu’à la ligne.
À condition qu’il y parvienne.
Et c’est encore là que la tête intervient. Il faut savoir beaucoup souffrir pour réussir un exploit comme celui-là. J’ai grimpé le Mur de Péguère. Rien à voir avec la vitesse à laquelle le franchissent les coureurs, évidemment, mais je sais quelle difficulté cela représente. C’est vraiment une méchante côte. Et longue. Avec des secteurs totalement brutaux, au-dessus de 16%.
De n’avoir perdu qu’une poignée de secondes là tient presque du miracle. Mais ce n’en est pas un. Hugo s’est sans aucun doute beaucoup parlé pour arriver au sommet avec 30 secondes d’avance. Puis ajouter du braquet pour encore défoncer son pédalier dans la descente.
Ce qu’il a fait là est géant. Énorme. Et même s’il faut de la chance (principalement, ici, qu’on vous laisse partir en échappée plutôt que de vous chasser), cette victoire lui appartient entièrement, totalement.
Il a sans doute laissé une part de lui-même sur les Pyrénées d’Ariège. Mais je crois que ce morceau de lui est surtout constitué de la peine qui l’accompagne depuis la mort tragique de son frère. Dans un certain sens, Hugo est un peu mort sur la route pour que son frère vive encore.