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Le blogue de David Desjardins

Je roule pour… aller travailler

15-10-2018

C’est la mi-octobre. J’ai enfilé une tuque, des gants de ski de fond. Je porte une doudoune en duvet. Ben non, j’ai pas mis de casque, bon.

Il est 8h30, et il fait assez froid pour que, lorsque je saute la chaîne de trottoir devant chez moi sur ma vieille machine de cyclocross recyclée en engin urbain, j’aie la sensation que tout est plus dur, à commencer par la gomme des pneus qui semble figée.

Elle n’est pas la seule. Le monde dégèle lentement d’une autre nuit qui annonce la fin des émissions pour les belles saisons.

Le soleil perce timidement à travers les nuages. Il n’y a pas de vent. L’air est bon. Je sais que je fais ceci pour une des dernières fois de l’année.

L’hiver, je ne prends pas mon vélo pour aller au bureau. M’habiller, me déshabiller, pour faire 2km, c’est un peu ridicule. Le processus me prend plus de temps que le déplacement. Et le chemin entre Limoilou et le Vieux-Port dans la neige n’est pas exactement le plus agréable : la piste cyclable de la 8e avenue étant hors service pendant la morte saison, je devrais prendre Canardière, où autobus et automobiles roulent à tombeau ouvert. L’été, passe encore. Mais dans la neige, bof. Je faisais ça à 20 ans. J’ai 44. Ça me tente plus tellement. Alors je marche. Vingt minutes avec mes écouteurs, dans chaque sens. Le balado quotidien du New York Times à l’aller. De la musique au retour. C’est pas mal, quand même. Je m’informe, je réfléchis, je fais du ménage dans ma tête. Mais c’est pas génial, non plus. C’est pas du vélo.

Je savoure donc doublement, ce matin, le parcours cycliste que je fais plusieurs fois par semaine depuis le printemps. Arrivé sur la rive sud de la rivière St-Charles, je m’assure que personne ne vient et prend le virage à droite de la piste à pleine vitesse, en effectuant une courbe parfaite, le corps penché; les lois de la physique confèrent au cyclisme une chose que la course ne procure jamais à personne. Le sentiment de voler tout en restant collé au sol. L’impression de ne plus porter son propre corps, d’être léger, rapide, surhumain.

Je file sous le pont en direction du Bassin Louise, puis m’arrête en attendant que le train qui bloque la voie recule vers les voies de triage. La fille devant moi sort son téléphone pour passer le temps. Moi, surtout pas. Je regarde le temps passer, à la place. Je fais quelques tours de roue et stationne mon vélo au marché. Ce n’est pas encore officiellement ouvert, mais les étals et les marchands sont prêts. J’achète des pommes, un céleri, une courge musquée et du saumon que je laisserai dans le frigo du bureau jusqu’à mon départ. J’aime venir ici au petit matin avant que les gens n’envahissent les allées. Les maraîchers sont de bonne humeur. La saison achève.

Je remonte en selle, fais quelques mètres en roue libre après avoir donné une demi-douzaine de coups de pédale tout au plus et verrouille ma bécane devant notre édifice, à côté du vieux Poliquin gris et rose qui lui tient toujours compagnie.

Le midi, je rentrerai diner à la maison en arrêtant acheter du pain sur la 3e avenue. Je roulerai lentement, en poussant un gros braquet. Le temps se sera un peu adouci, mais pas tant, et en remontant sur la 8e Avenue, entre la boulangerie et la maison, je me remplirai les poumons. Puis j’expirerai fort. Comme un soupir. Mélange de contentement, du plaisir de glisser dans l’air craquant de l’automne et d’en inhaler la fraîcheur, mais aussi d’une nostalgie anticipée à la veille des premières gelées.

Dans quelques semaines, ce sera terminé. Je ferai du rouleau. Du ski. Je courrai. Je marcherai pour aller travailler. Mais ce sera pas pareil. Je n’arriverai pas au bureau avec le même sourire. Le déplacement sera trop long pour que je puisse rentrer diner et retourner au bureau par la suite, en ayant fait les courses en chemin. Je prendrai parfois l’auto. Et l’autobus. Lorsque j’irai chercher la grande pelle pour déneiger le toit dans le garage, je croiserai mon vélo de ville, accroché au mur. Promesse des matins à venir quand le monde se sera enfin départi de son hostilité hivernale. Je soupirai, et la vapeur de mon souffle trahira ma langueur.

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