J’aime les descentes. Les longues, les sinueuses, les techniques. Celles qui requièrent mon entière attention. Je roule pour dévaler une bosse, une pente, un col, pour trouver le point d’équilibre où le risque maximum rencontre le minimum de prudence requis.
Savez, ce lieu où la pulsion de mort et le désir de vivre entrent dans une fusion qui vous fait sentir invincible, plus grand que nature, comme si une lumière émanait de vous et éclairait le monde en le rendant soudainement plus clair, le contour des choses devenant plus tranchant. Comme lors de ce fugace moment où l’ivresse s’empare de vos sens, exalte tout, et vous rend bien, comme en marge de tout et en même temps au centre de tout.
Oui, c’est une drogue. Descendre est un psychotrope puissant. L’adrénaline est encore plus vivifiante que tous les speeds.
Trouver l’angle parfait. Attaquer la courbe en sachant que le caoutchouc du pneu tiendra le coup, en penchant le corps et en laissant les lois de la cinétique faire le reste du travail : dévaler une côte et prendre ses virages à pleine vitesse est un exercice pratique de physique qui grise l’esprit.
J’aime aller vite dans toutes les situations topographiques. Sur le plat, le vélo me permet d’être un cyborg, un post-humain. Le pédalier, les pignons, la chaîne et les roues agissent comme le prolongement de ma force physique qui font de moi un homme bionique. Je me lève sur les pédales, j’entends le son des roues qui vrombissent (ah, le doux grondement du carbone; ah, le chuintement discret de l’alu), du caoutchouc qui crépite, et tout le cadre qui se tend, la mécanique qui cliquète, le souffle qui devient court et s’accélère.
Je la désire, cette vitesse, en toutes circonstances ou presque. Pas tout le temps, mais je la souhaite à ma portée. Et c’est en grimpant qu’elle devient une affaire sérieuse, un art. Toute l’idée de conserver mon corps mince et de m’entraîner dur est là : je peux aller vite en descendant ou lorsque le dénivelé est inexistant, et ce, même si je me fais gros garçon.
Mais pour grimper à toute allure, je cultive ma forme. Et j’étudie le geste.
J’aime grimper vite, laisser les autres patauger dans les relents de mon effort. J’aime qu’on m’attaque, qu’on me pousse à bout. Je n’adore rien de plus que d’arriver au haut d’une bosse pour ensuite continuer à en donner et repartir sur le replat comme si je venais de franchir une petite chose insignifiante.
Grimper à toute allure est un bonheur cycliste rare. C’est la gravité que l’on défie ainsi. Et c’est le travail accompli, de même que les sacrifices (ah, toutes ces frites remplacées par de la salade) qui trouvent ici leur place dans la colonne des actifs de ce calcul comptable qu’est celui de la mise en forme du cycliste.
Je roule vite pour ces quelques jours parfaits d’une saison. Ces fois, que l’on compte sur les doigts d’une main, où la forme est impeccable et permet tout faire rapidement, si bien qu’une sortie très accidentée de 100 bornes ou plus se termine à une vitesse moyenne parfois ahurissante, puisqu’on a franchi les bosses à plein régime pour ensuite les redescendre en pédalant, le couteau entre les dents, et parfois aussi le coeur au bord des lèvres, mais en ne fléchissant jamais.
Je roule pour aller vite en général, mais beaucoup pour ces quelques journées parfaites qui me font non pas sentir en vie, mais qui font vivre un rêve. Le temps de quelques minutes, je suis Eddy, je suis Fausto, je suis Frederico, je suis Bernard (Hinault ou Thévenet). Je vais à toute vitesse, je suis capable de choses que je croyais impossibles, je suis au sommet avec les légendes. Je m’en fais croire, des choses. Je suis immortel.