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Le blogue de David Desjardins

La route des demi-civilisés

16-08-2022

Photo: Shutterstock

« Parce que j’ai pas fait mon stop, je mérite de me faire tuer? »

Je hurle ma question plutôt rhétorique avec les pulsations à 180 battements par minute. Mon interlocuteur a la soixantaine, à vu d’œil. Il conduit un pickup noir. Il vient de me frôler le coude en me faisant une queue de poisson. Puis de recommencer. Cette fois, j’ai dû sauter sur le trottoir, en faisant lever mes deux roues d’un coup, pour éviter qu’il ne me fasse tomber sous ses roues.

Revenons quelques minutes en arrière. Quelques secondes, en fait.

Avenue Royale. Beaupré. Direction Ouest. Samedi 6 août. 9h30. Je file pour rejoindre des amis. Et oui, je grille un stop. Pas en sauvage ni rien. Comme je le fais souvent : je ralentis, vérifie que personne ne vient de quelque sens que ce soit. Constat : pas un chat. Sinon un pickup noir qui me suit, une vingtaine de mètres derrière. Donc je passe.

Est-ce que je commets une infraction au code de la sécurité routière? Oui. C’est plus pratique. Plus sécuritaire pour moi puisque ça me garde en mouvement et dans le regard des véhicules qui me suivent. Sauf que oui, c’est une faute. Un policier m’aurait collé une contravention et je l’aurais payée sans rechigner.

Mais dans la mesure où je ne nuis à personne et ne met la sécurité de quiconque en danger, j’adopte la même posture qu’à l’habitude : le délit sans victime. Anyway, la seule victime potentielle, ici, c’est moi.

Ce qui a l’heur non pas d’agacer, mais de faire halluciner le conducteur qui me suit, pourtant de loin. Il me klaxonne, me hurle que j’ai omis de m’arrêter. « Ton stoooooooop!!!! » Parce qu’évidemment, lui, au volant de ses deux tonnes d’acier, se met sans doute à l’arrêt pendant les trois secondes prévues au code de la route à chaque panneau… #not

Je lui envoie simplement la main, sans malice, un bonjour. L’air de dire : « allo, oui, c’est beau, j’ai compris. » Il vire fou, j’entends son moteur vrombir, je le sens arriver près de moi lorsqu’il me frôle une première fois. Une des manoeuvres d’intimidation les plus violentes et dangereuses qu’on puisse imaginer à vélo. J’hésite entre la peur, la colère, l’indignation.

Je répète : sur le fond, il a raison. Je suis dans le tort. Mais jouer au flic? Au juge? Et au bourreau? Décider que je mérite comme peine de frôler la mort, ou de me blesser gravement en perdant le contrôle de mon vélo? Ce n’est pas seulement inacceptable dans une société de droit. C’est un crime. Ça s’appelle une voie de fait, soit la menace d’employer la force contre un individu pour le contraindre ou l’effrayer, et c’est exactement ce que vient de faire ce type.

Je lui envoie mon plus beau doigt d’honneur, lui hurle dessus, il fait pareil.

Je tente de remonter à sa hauteur, côté conducteur, pour lui dire ma façon de penser. Je dois freiner brusquement quand il envoie, d’un coup de volant, son véhicule vers moi pour prendre tout l’espace dans la voie de gauche. Celle du sens opposé. Il me fait le coup deux autres fois. Je finis par remonter à sa hauteur.

« Coudon, parce que j’ai pas fait un stop, tu penses que c’est une bonne idée de me tuer? Te rends-tu compte de ce que t’as fait? Es-tu né niaiseux de même ou ben tu sniffes du gaz? »

Il est mauve de rage. Il se tasse à nouveau vers moi. Je dois sauter sur le trottoir pour l’éviter.

Le manège continue quelques minutes. Il ralentit, me coupe la route. J’hésite à prendre ma pompe, dans ma poche arrière, et la lui lancer. Mais il finit par virer vers la route principale.

Je suis flabbergasté par le degré de violence que je viens de subir.

Vous me direz que j’ai couru après, peut-être? C’est une drôle de manière de voir les choses. En effet, si je m’étais arrêté, rien de tout cela ne se serait produit. Mais l’excès de la réponse me laisse croire que le problème est ailleurs. Je veux dire qu’on n’est pas là, simplement, dans une manière saine d’aborder ou même de punir mon petit délit.

On est là dans la rage pure. La violence inexcusable.

Je n’ai jamais eu autant d’altercations avec des automobilistes que cette année. Et si j’exclue cette fois-là, je n’étais jamais en tort. Des autos qui vous frôlent à grande vitesse pour mieux s’immobiliser à une lumière 100 mètres plus loin. Des camions qui vous tournent dans la face (alors que la lumière est à mon avantage) et vous bloquent le passage, vous forçant à freiner brusquement pour les éviter. Des fous furieux qui vous collent pour vous intimider. Qui vous klaxonnent simplement parce que vous les forcez à ralentir pour vous éviter.

Je pourrais continuer pendant une page. J’en suis à 9000km de route cette année. Ce genre de chose m’arrive tous les 500km environ. Ce n’est pas normal. C’est parfaitement inacceptable. Le degré de violence qui sévit en ce moment sur nos routes est alarmant, je le constate aussi quand je conduis ma voiture : impatience à son comble, distractions majeures, vitesse excessive, dépassements dangereux, rage au volant…

Je n’arrive pas à m’expliquer ce climat. Est-ce qu’il y a plus de vélos qu’avant? Est-ce que la pandémie nous a rendus à moitié ou complètement dingues? Et surtout : qui a fait de tout le monde un petit flic en puissance? Qu’est-ce qui explique que dans la tête d’un quidam, un samedi matin, attenter à la vie d’un de ses concitoyens avec son véhicule lourd soit le moindrement acceptable?

J’ai pas de réponse. C’est ici que ma compréhension de l’être humain s’arrête. Mais le premier qui me répond que c’est la faute aux vélos qui ne respectent pas le code, je lui garoche ma pompe.

Parce qu’on ne se bat jamais à armes égales dans ce genre de conflit. On est toujours vulnérable devant une carcasse d’acier qui fait croire aux conducteurs qu’à leur bord, les seules lois qui s’appliquent sont celles du plus gros, du plus fort. Peu importe le délit. Peu importe si cet imbécile en voit cent par jour, qu’il doit s’arrêter souvent pour laisser passer des pelotons, des piétons, des enfants, des tracteurs qui l’empêchent de faire le virage pour lequel il devrait avoir la priorité, rien n’excuse cette violence.

On n’est pas à l’époque médiévale. Nous ne vivons pas dans un régime où règne la loi du Talion.

Mais la civilisation, parfois, n’est visiblement qu’un vernis. Suffit de le gratter un peu et voilà que vient une drôle d’odeur. C’est sauvage. Ça pue la bête.

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