Pour chaque nouveau vélo, il y a une nouvelle histoire d’amour. Une vie cycliste qui voit le jour.
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Les boutiques ont été vidées, nettoyées. Dans le trou d’air laissé par l’étouffement du confinement s’est glissé un désir, bien inattendu, et pourtant partagé par la multitude: rouler pour reprendre son souffle. Et son rythme. Les marchands ont fait des affaires en or. Les équipementiers se sont retrouvés en rupture de stock, leurs chaînes d’approvisionnement perturbées par les fermetures d’usines, comme les replis stratégiques de distributeurs craintifs de voir les affaires tomber à plat et coupant dans leurs commandes.
Le Québec s’est lancé à corps perdu dans ce qui lui permet d’aller jouer dehors et de fuir les quatre murs dont il ne pouvait plus soutenir la vue.
Pour chaque nouveau vélo, il y a une nouvelle histoire d’amour. Une vie cycliste qui voit le jour.
Une mère de famille qui se découvre un goût pour le mouvement, et le vent qui lui fouette le visage, et les paysages soudainement accessibles par les pistes cyclables et les chemins de traverse qu’elle évitait autrefois, leur préférant, en voiture, l’itinéraire le plus rapide, le plus efficace. Une famille partie pour la gloire et les sentiers de vélo de montagne de son coin de pays, taquinant la racine, tutoyant le caillou, laissant le concert des dérailleurs, des écureuils et des pics lui coloniser le canal auditif.
Et il y a mon frère. Pas particulièrement sportif de nature. Attiré par l’univers du cyclisme, ses codes, sa graphie, ses légendes. Mais comme tant d’autres, il n’avait jamais encore ressenti l’envie d’aller loin et vite, de sentir son corps s’unir à la machine pour mieux fabriquer de petites et vivifiantes aventures qui s’insèrent dans le quotidien.
Il faut s’y essayer pour comprendre. Il l’a d’abord fait avec sa fille, ma nièce, qui elle aussi s’est découvert un goût pour la vitesse parfaite que permet le vélo. Puis il s’est mis à explorer. Son quartier. Sa ville. Et puis la région.
Si on superposait les parcours qu’il m’envoie par Strava depuis quelques mois, ils prendraient plus ou moins la forme de cercles concentriques, ou mieux encore, les courbes de niveau des cartes topographiques. Toujours plus loin, toujours plus haut. Au sommet, il y a son camp de base. Chez lui. Là où il triomphe au final de sorties qui prennent en longueur, en vitesse, tandis qu’il fond à vue d’œil et se découvre un puissant moteur qui s’ignorait depuis trop longtemps
Je l’ai amené dans mes terres, l’autre jour. Je lui ai montré comment tenir une roue et profiter de l’effet d’aspiration, gérer ses efforts. Il tempêtait dans les montées, s’en est ensuite excusé, mais je ne lui en voulais pas le moins du monde. Mon frère était devenu un cycliste, il comprenait soudainement mon langage, ma passion, et à quel point rouler soigne les petits maux qui nous accablent et nous tirent vers le bas en nous faisant filer vers l’avant.
Il apprend vite. La forme s’aiguisera en même temps que son désir d’accélérer. «It never gets easier, you just go faster», disait le champion du Tour de France Greg LeMond.
Mais ce qui compte, c’est la rencontre. C’est la fin du vélo perçu comme un sport d’élite ou une activité de matante. Rendu là, ce n’est même plus une affaire de démocratisation. C’est un retour collectif à l’enfance. Au plaisir simple de filer en roue libre au bas d’une côte. Le vélo est le vecteur d’innocence dont nous avions tous terriblement besoin.