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Le blogue de David Desjardins

Le plaisir

13-02-2018

 « Roules-tu pour le fun, des fois? »

J’entends celle-là au moins 54 326 fois par année. Ce n’est pas méchant ni rien. Seulement, ce les gens retiennent de ma pratique cycliste, ce ne sont pas mes sorties de 40km que je fais sur la piste cyclable en me faisant dépasser par les enfants et leurs grand-mères.

Ce qui frappe l’imaginaire, c’est de monter St-Irénée à plein gaz, c’est une sortie de 200km, c’est le Grand Prix de St-Raymond sous la pluie à 2 degrés, c’est un criterium à 45km/h de moyenne, c’est un dénivelé positif de 3500m, c’est le col de la Madone d’Utelle, de Mare de Deu ou un KOM sur le tour des équerres.

Pour la moyenne des ours, il n’y a là que souffrance.

Imaginez comme cela flabbergaste lesdits ours lorsque je tente de leur expliquer que c’est justement dans ces conditions en apparence misérables que je roule pour le fun. Ou enfin, que je trouve dans ces épreuves une forme de plaisir. Le mien.

Un plaisir pour doloriste, certes, mais un plaisir tout de même. Les promenades m’ennuient généralement. Je roule la plupart du temps dans les mêmes paysages dont l’éclat se délave forcément à l’usage. Me dépasser, comparer mes temps, aller au bout de moi-même et un peu plus loin encore : voilà qui m’amuse. Même si cela vient parfois avec une légère envie de vomir.

J’ai d’autres moyens de me promener, d’aller à une autre vitesse qui est celle de la méditation active. Je marche tout l’hiver pour aller travailler, je lis. Pour moi, le vélo est essentiellement affaire de dépassement, si bien que mes sorties à vitesse « pour le fun », telles que les conçoit la majorité, sont des obligations de récupération active qui relèvent plus du boulet qu’autre chose.

Si cela ne menaçait pas de me faire passer du côté sombre de la forme, qu’on appelle le surentraînement, je roulerais toujours à fond.

Je ne dois pas être seul. Parmi les rubriques les plus consultées de Vélo Mag, trônent les sections alimentation et entraînement : deux manières d’aller plus vite. Toujours plus vite.

Symptôme de nos obsessions de performance, c’est vrai.

En même temps, nous sommes des milliers à trouver un certain plaisir dans l’idée de disparaître à nous-mêmes, d’être ailleurs que dans le moi-travail, le moi-papa-maman, le moi-conjoint.e, le moi-raisonnable. Cela se traduit de mille manières. Je me connais une propension certaine à l’excès. Je n’aurai certainement pas l’audace de plaider en faveur d’habitudes synonymes de bonne santé : je ne suis pas certain que de mettre ainsi mon corps à l’épreuve soit bénéfique.

Mais quel plaisir d’être dans un instant de pureté, dans la blancheur totale de l’effort qui nettoie la mémoire, tandis que le cerveau n’est plus qu’un engin reptilien, consacré aux fonctions vitales, à la survie.

Après, le monde retrouve son charme. Les ennuient qui me lestent prennent le large tandis que les endorphines me font planer.

Le plaisir est un élastique. Je tends le mien à l’extrême. J’apprends l’art de trouver son point de rupture et d’arrêter juste avant de l’atteindre. Ça rend ma vie plus riche. Faite d’aventures, de récits, d’échec et de victoires. Je roule non seulement pour le fun, pour en saupoudrer du même coup sur le reste de ma vie.

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