Le printemps commence maintenant.
D’où je suis, pourtant, on ne distingue que la désolation d’un paysage figé. À Québec, malgré quelques récents épisodes de redoux, la neige couvre tout et l’horizon est gelé.
Mais avec Milan-San Remo, samedi, c’est la promesse de jours meilleurs qui s’annonce. Car si Paris-Nice s’affiche comme la course vers le soleil, la Primavera (surnom du monument cycliste italien), elle, signifie l’arrivée des beaux jours. Même ici, dans ce pays où le printemps se fait désirer par delà les limites de notre patience.
Les classiques constituent ainsi une source multiple d’exaltation pour le et la cycliste qui s’intéressent à la course : ils pourront, sous peu, passer leurs avant-midis devant l’écran et leurs après-midi derrière leur guidon.
Inspiré par les conditions misérables que subissent les professionnels, le rouleur redoublera de courage (et de couches de merino, de gore-tex, de neoprene, de lycra) pour affronter les vents prohibitifs, la pluie démoralisante et le mercure frigorifique qui renvoie toute escapade à une sorte de récit dantesque que l’on partage ensuite sur Strava pour mieux témoigner de son statut de femme forte et de dur à cuire.
Je trépigne déjà à l’idée de faire concorder mes premières équerres avec Paris-Roubaix. Je songe à mon premier tour du Cap Tourmente après l’Amstel Gold Race. Et pourquoi pas d’une petite virée en Estrie, où le printemps est souvent plus hâtif, pour souligner la Doyenne : Liège-Bastogne-Liège.
C’est le temps de l’attente et de la ferveur. Des préparatifs et des prédictions.
L’équipement s’achète et s’ajuste
On remplace les vieux chaussons de pluie défoncés, les gants troués. Ou alors on les répare. Cette année, je m’essaie au cirage de mes chaînes de vélo : une des petites activités intérieures qui, avec l’entraînement en salle, précèdent le plaisir d’aller dehors.
De même, en attendant les grandes épreuves, on fait l’inventaire des forces en puissance dans le peloton.
Annemieke van Vleuten et Julian Alaphilippe règneront-ils sur les ardennaises? Mike Woods souffrira-t-il d’une nouvelle arrivée sur Liège-Bastogne-Liège ou celle-ci profitera-t-elle à Peter Sagan qui étire son calendrier printanier cette année? Qui fera partie de la sélection, au Carrefour de l’arbre, qui comprend presque toujours le gagnant de Paris-Roubaix?
Nous faisons aussi l’inventaire de nos objectifs. Courses sur route, granfondos, défis de gravel ou de montagne. C’est le temps des inscriptions hâtives, des appels aux amis, voire aux amoureux. Ma mienne de blonde et moi nous inscrivons au Raid du Bras-du-Nord. Je caresse l’envie d’un premier Grinduro.
C’est peut-être en cela que le cyclisme professionnel est le plus différent des autres sports : particulièrement ici, en Amérique, il est surtout suivi par ceux qui le pratiquent en amateur. Et il entretient une flamme différente de celle de l’amateur de hockey ou de football qui ne pourra jamais planifier un match amical sur le terrain des Patriots ou la glace du centre Bell, alors que nous faisons le circuit des grands prix de Québec ou Montréal à l’envi et que nous pouvons escalader les cols mythiques des courses pros.
Tenez : l’avant-dernière étape de Paris-Nice se jouait dans le col de Turini la semaine dernière. Or, je le connaissais pour l’avoir gravi, j’en reconnaissais les virages, je savais sa difficulté. Mais aussi la beauté du paysage autour. Puis la descente : 45 kilomètres en roue libre ou presque jusque sur la côte d’azur. J’étais en Corse pour le grand départ du Tour. Je m’en vais dans les Pyrénées en septembre pour, justement, aller à la rencontre des géants de l’histoire cycliste.
La course fabrique des mythes accessibles. Elle inspire la pratique. Elle donne envie de rouler.
Le printemps commence maintenant. Au sommet du poggio. Là où se détachera peut-être celui qui terminera les 300km séparant San Remo de Milan en levant les bras en l’air. Et c’est un peu le début de ma nouvelle saison de vélo qu’annoncera alors le gagnant.