Les cyclistes de longue date entretiennent souvent un rapport détestable avec le vélo à assistance électrique. Voici pourquoi. Et surtout comment venir à bout d’un clivage stérile qui n’a pas lieu d’être.
J’ai un ami qui possède un ebike.
Je relis cette première phrase. Sa simplicité pourrait traduire quelque chose comme de la honte. Un léger dégoût que l’on tente de camoufler par l’absence de style et donc de tout affect. Genre : j’ai un ami qui a la gonorrhée.
N’y voyez rien du genre. Ce serait plutôt l’inverse. C’est une absence de jugement que je souhaite exprimer ainsi.
Le ebike (ou « vélo à assistance électrique ») de mon ami, donc. C’est un vélo de montagne. Un Specialized. Il est superbe. Comme ledit ami tutoie la mi-cinquantaine, je désigne sa monture comme un bike de la Fadoq. C’est pour l’agacer. Il est en pleine forme. « Mais là, je peux partir trois ou même quatre heures, aller loin, longtemps, et monter n’importe où, peu importe mon niveau de fatigue », m’expliquait-il l’été dernier.
Il ne se justifiait pas. Il m’exposait simplement ce qu’il aimait de son nouveau vélo. « Et puis ça monte vite, c’est fou! », s’est-il exclamé.
J’ai souri. Je n’ai rien ressenti d’autre que la constatation de son plaisir. J’étais content pour lui. Il n’en aurait pas toujours été ainsi.
Un problème d’ego?
Les cyclistes de mon genre (compétitifs, entraînés, un peu arrogants) ont souvent un rapport complexe au vélo à assistance électrique. Dans nos têtes, c’est un peu de la triche. Quand je ne suis pas capable de rattraper un type en hybride dans la côte de Cap-Rouge, parce qu’il va à 30km/h dans le haut d’une bosse de 10% en poussant 100 watts, évidemment, ça me gosse un peu. Et je ne vous parle même pas des deux madames qui faisaient bien 60 ans et que j’ai vues s’évaporer dans une montée au pourcentage prohibitif au Mont Sainte-Anne avec un certain effarement l’été dernier.
Pourquoi, donc? Simple question d’ego égratigné?
Oui. Et non. Comme cycliste dédié, je passe beaucoup de temps à m’entraîner, depuis de nombreuses années. Mon niveau de forme témoigne de mon engagement dans le sport. Si vous faisiez du yoga depuis 25 ans et que quelqu’un prenait une pilule et pouvait accomplir toutes les mêmes postures que vous, du jour au lendemain, ça vous agacerait aussi un peu, non? Donc. Mon niveau de forme, c’est le témoin de la place qu’occupe le vélo dans ma vie. Je suis engagé dans ma pratique, comme diraient les yogis.
Je vais vite donc je suis plus qu’un simple cycliste. Cela fait partie de mon identité. Et l’identité, c’est important. Nous voulons appartenir à un groupe, être reconnus. Ça vient aussi avec des dérives. Comme de penser que l’arrivée de nouveaux venus qui auraient en quelque sorte sauté des étapes dévalue nos efforts.
Or, il faut apprendre à arrêter de penser de la sorte. Parce que ça ne mène à rien et que c’est toxique pour soi-même, pour le vélo et pour les autres.
Il y a plein d’autres enjeux liés au ebike dont il faut discuter. Cette possibilité de rouler plus longtemps s’accompagne d’une utilisation accrue et donc d’une érosion prématurée des sentiers. Aussi, les pistes n’ont pas été conçues pour être grimpées ou roulées sur le plat avec des moteurs, donc à grande vitesse, ce qui entraîne aussi des questions de sécurité liées au pilotage.
Mais pour ce qui est de grincer des dents parce qu’ils grimpent plus vite et fendent le vent sans une suée, il faut que le cycliste comme moi range son ego. Il faut voir tous les avantages que ces vélos procurent (ramener progressivement des adeptes à la forme physique qu’ils avaient perdues, rouler avec des amis ou des conjoints qui ne sont pas aussi puissants que vous sans les attendre, démocratiser plus encore la pratique, procurer le plaisir aux aînés de partir pour de longues durées en se sentant en sécurité…) et cesser de se sentir menacé.
Il faut penser le vélo à assistance électrique autrement. Ce n’est pas une menace. C’est une autre manière d’avoir du plaisir. C’est juste plus de monde dans les rues, dans les trails. C’est plus d’argent dans l’industrie, plus d’usagers qui influencent les politiques en matière de transport et d’installations sécuritaires sur les routes.
La seule vraie question à se poser, ce n’est pas de se demander s’ils méritent ou pas d’aller plus vite que moi, que nous. C’est : qu’est-ce que ça m’enlève?
La réponse : rien du tout. Absolument rien. Au contraire.