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Le blogue de David Desjardins

Les hôtesses et la nostalgie

04-04-2018

Cette semaine, Vélo Mag demandait aux abonnés de sa page Facebook ce qu’ils pensent de la décision d’un nombre croissant d’événements de mettre fin à la tradition des hôtesses, mieux connues sous le vocable de « podium girls ».

Sans trop de surprise, on retrouvait dans le fil de réponses l’habituel lot d’indignés nostalgiques. En gros, la ligne de défense qu’ils empruntent est celle du : c’était donc ben mieux avant. Avant le féminisme, s’entend. Il y en a un qui a eu la décende de l'écrire en toutes lettres. On lui donne un point pour son honnêteté.

Les sophismes et autres arguments fallacieux s’invitent généralement en groupe lors de ces débats qui remettent en cause l’utilisation des femmes à titre de jolis objets. Parmi ceux-ci : il y a encore des parades de mode, après tout.

Pour autres arguments, on déplore aussi les podiums vides, la fin des traditions, etc.

J’espère que ça a fait du bien à tout le monde de se défouler. Maintenant, regardons les choses froidement.

Le choix des protagonistes

Voyons la nature de la chose un moment. Pour toutes émoustillantes qu’elles soient (je ne suis pas indifférent à leur charme moi non plus, après tout), les hôtesses sont là pour faire joli. Point. Elles constituent des objets de désir, et leur participation au spectacle est à peu près la même que celle des bouquets de fleurs, des banderoles, des peluches et des bouteilles de champagne. Ce sont des choses parmi d’autres. Leurs baisers : un trophée de plus.

Un lecteur déplorait qu’on déshumanise le cyclisme en renvoyant les hôtesses chez elles. Au rayon de la déshumanisation, me semble que de les employer comme des poupées gonflables, c’est pas pire aussi.

Une tradition n’est pas une prescription

Ce n’est pas parce que quelque chose a toujours existé que c’est bon pour autant. ON ne soigne plus en faisant des saignées. On ne trépane plus les fous. Pendant des années, on a exploité les enfants dans des chantiers, des mines, des usines, et si on le fait encore dans les pays en développement, ici, la chose est désormais impensable. Parce que c'est de l'exploitation pure et simple, et aussi parce qu'on croit que les enfants devraient être plus que les rouages d'une machine à fric, et qu'apprendre devrait être leur unique travail.

Le combat du méchant féminissss, c'est de changer le monde afin que les femmes aient accès d'autres boulots que celui d'afriolant bibelot.

Aussi, cesser de mettre des femmes de l’avant pour leur simple apparence, dans un contexte sportif qui n’a absolument rien à voir avec leurs corps à elles (contrairement aux parades de mode, même s’il y a là aussi des motifs d’indignation concernant les canons physiques féminins qui confinent à la dysfonction alimentaire), ça n’enlève rien à l’épreuve, ne change rien aux performances.

Et si cela constitue le principal élément pour vouloir gagner une course, il est temps pour ces messieurs de trouver d’autres moyens de rencontrer des femmes. Essayez donc Tinder.

Quant aux hôtesses, certaines déploreront d'avoir perdu un boulot. Les familles des enfants qu'on a retiré des usines disaient la même chose. Pensez-y. 

Le podium ne sera pas vide

En Australie, où l’on a déjà aboli les hôtesses, celles-ci ont été remplacées par des jeunes coureuses et coureurs locaux qui ont la chance de côtoyer leurs idoles. Pas mal plus constructif comme échange, non?

Décider entre hommes?

À un moment donné, ce serait l’fun que les hommes comprennent que les désirs de la classe dominante ne sont pas intouchables, et que ceux qui sont en position de pouvoir n’ont pas à décider à la place de celle qui est exploitée… s’il s’agit ou non d’exploitation.

Le monde change, les personnes autrefois mises de côté et ne disposant pas de voix pour se faire entendre réclament désormais du changement.

Même s'il trouve ça déstabilisant, l’homme blanc doit donc saisir qu'il n’est pas exactement le mieux placé pour savoir ce qui est considéré comme du racisme et du sexisme chez une femme noire (c'est un exemple parmi d'autres, j'aurais pu écrire une personne trans asiatique, et parler d'une autre forme d'exclusion). La moindre des choses, quand on a la chance de jouir de tous les privilèges, c’est d’essayer d’aider le reste du monde à s’élever au niveau de la majorité dominante au lieu de faire perdurer des iniquités.

Me semble qu’encore ici, c’est un bel effort d’humanisation.

Le changement, ça dérange

Il est navrant de constater à quel point le moindre changement déstabilise et provoque des réactions foncièrement émotives, egocentriques et dépourvues de réflexion (je pense aux automobilistes face au nombre croissant de cyclistes sur la route, par exemple). On répondra à mes arguments par l’anecdote, la fois où tel coureur a rencontré son actuelle épouse alors qu’elle lui tendait un maillot de vainqueur. Mais pour une histoire comme celle-ci, il y a aussi celle de milliers de femmes dont on ne reconnait comme unique compétence pour l’emploi d'hôtesse le fait d’être jolie et de savoir sourire.

Ce n’est pas le seul endroit où ça se fait? Ah, c’est vrai. À supposer que le moteur du changement, c’est de toujours se comparer à ce qui se fait de pire ailleurs. À ce compte-là, renvoyons les enfants dans les usines, ça se fait encore au Bangladesh, après tout.
 

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