Il y a très peu d’auteurs qui parviennent à rendre la course cycliste avec justesse.
Même en dehors de la compétition, rares sont ceux qui documentent habilement le geste de pédaler, la réalité de l’effort, ses épreuves et cette idée d’intégrer le théâtre du dehors en adoptant la double posture d’élément du décor et d’acteur.
C’est généralement le souffle qui manque. Soit celui qui écrit n’a pas roulé assez vite, assez fort, avec le dévouement nécessaire pour que de l’effort jaillisse le style. Soit c’est le talent qui manque et ne parvient pas à rejoindre le génie des jambes. Alors se perdent dans la pauvreté littéraire la force mentale de celui qui sait l’ascétisme, l’abnégation, la douleur, la sueur qui brûle les yeux et le vent d’hiver qui glace, jusqu’à la brûlure encore.
Il y a tant de choses à savoir pour bien les raconter. La peur. Les virages. Les coudes. La sensation du sol qui se dérobe sous un boyau mal collé. Ce moment où il faut tout donner et même un peu plus pour seulement demeurer accroché. Les jambes toujours lourdes. La fatigue permanente. Les obsessions du poids, de la nourriture, des watts, du sommeil, du massage…
Olivier Haralambon sait tout cela. Il a le souffle double. Celui de l’écrivain brillant, vif, possédant une intimidante profondeur stylistique, et aussi celui de l’ancien coureur qui connait le sentiment qui jaillit dans le petit cinéma qu’est l’esprit de l’athlète. L’urgence de boucher le trou, la nécessité de rester calé dans une roue pour survivre aux assauts d’un peloton qui donne de grands coups à l’avant pour mieux étirer l’arrière en une ribambelle de souffrance.
C’est pour cela que son livre, Le Coureur et son ombre, est un réel chef d’œuvre dans le genre : il élève le cyclisme. Il en fait un art plutôt qu’un sport. Il y parle du corps comme d’un outil en même temps qu’un modèle qui servirait au peintre. L'auteur y décrit ses premiers émois de compétiteur, tout jeune, comme on raconte ses premières amours. Tout y est. Les odeurs et la beauté. Les sons des sauts de chaîne et des freins sur les roues de carbone dans la nuit torride des kermesses. Il y est question de classe, de vieillissement, de la vie dans le peloton et après, du désir de tout laisser et de redevenir un bike bum. Le goût aussi fugace qu'insensé d’à nouveau vivre uniquement pour rouler.
Il y tout cela et bien plus encore dans ce bouquin que l’on ne prêtera à personne, de peur de le perdre. L’écriture d’Haralambon est précieuse, taillée au couteau comme le corps d’un grimpeur. Elle est parcourue d’élans de génie, filée d'images saisissantes qui se découpent sur le papier comme le rhizome des veines du cycliste affûté sous son épiderme.
On en ressort avec cette même envie qui nous prend en regardant le final d’une belle course : aller rouler. Se perdre en soi, se retrouver. Vivre sur le vélo. Tout y faire, sauf peut-être l’amour et dormir. Quoi que pour dormir, c’est possible. La beauté de ce qu’écrit Haralambon vous hantera jusque dans vos songes.