Vendredi. J’étais parti rouler le matin. Juste avant d’enfourcher ma monture, un texto de mon ami Charles était apparu sur l’écran de tyran portable : « Va voir le Giro, MAINTENANT ».
Je suis parti presque immédiatement, pressé de rejoindre le soleil et le temps chaud plutôt que les froids pixels de mon ordi. J’enregistrais cette dix-neuvième étape sur Fubo (ils ne me payent pas pour que je parle d’eux, merci, mais leur service est vraiment génial, quoiqu’un brin onéreux), j’allais regarder plus tard, en faisant l’impasse sur les réseaux sociaux, entretemps, pour éviter les divulgâcheurs (spoilers).
Revenu à la maison, j’ai dîné au bout de mon siège en regardant la course. Ce que je voyais était rien de moins que l’un des plus spectaculaires moments d’un grand tour depuis… des années. La Sky qui mettait la pression dans le col du Finestre. Simon Yates à la ramasse. Et Froome, en retrait depuis le début du tour (sauf pour une victoire d’étape) s’envolait pour une échappée de 80km en solitaire qui lui permettrait de reprendre plus de 3 minutes de retard au classement général et remporter l’épreuve, puis le Giro, à Rome, deux jours plus tard.
J’ai ensuite publié un petit morceau de blogue sur le sujet. Et sans surprise, on m’a rappelé « l’exploit » analogue d’un certain Floyd Landis en route vers Morzine… ensuite trouvé coupable de dopage, et dépouillé de son titre.
Évidemment, je suis conscient qu’il y a cet énorme nuage qui plane sur la tête de Chris Froome, écrit Salbutamol en lettres fluo dessus. Et ajoutons ceci : bien franchement, je ne l’aime pas trop. Personnalité ennuyeuse, style détestable : l’écouter parler est soporifique et le regarder pédaler donne des haut-le-cœur.
Mais le voir dégringoler, après le Finestre, en s’envoyant des gels, alors qu’il est en recherche de vitesse, accroupi sur son cadre, pour ainsi prendre une autre minute à tout le monde dans la descente : voilà qui confine à un minimum de respect. Sans parler de son attaque elle-même, et de sa capacité, dans le dernier col, à maintenir l’écart… puis à défendre sa position le lendemain, dans une autre étape extrêmement difficile.
Bon, maintenant, est-ce que cet enthousiasme me rend dupe?
Meunon, sots, je ne gobe pas tout sans rien dire. Mais si on ne s’amuse plus, si on ne s’émerveille plus de rien, alors à quoi bon suivre le cyclisme pro? Et le football? Et le tennis? Et l’athlétisme? Et la natation? Et même le tir au pistolet?
Vient un moment où l’on doit aimer le sport professionnel pour ce qu’il est : un spectacle. Après, si on prend ses acteurs à tricher, qu’on les punisse, qu’on déboulonne leurs statues et tout. C’est tant mieux.
Il n’est pas question de croire aux miracles, comme Lance Armstrong nous implorait de le faire après sa septième « victoire » du Tour de France. Seulement de s’amuser encore, avec un enthousiasme juste assez mâtiné de scepticisme pour n’être ni complètement idiot ni totalement désabusé.
Et honnêtement, je ne vois pas d’autre posture imaginable pour être fan de sport. Voire de qui ou quoi que ce soit, en ces temps de #meetoo et autres brutaux éveils sur nature véritable de nos idoles.